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Vient le Contrat social, c’est-à-dire l’ouvrage certainement le plus étrange de Rousseau. Il est plus vivant aujourd’hui qu’à son époque. Autrefois, c’était une utopie ; actuellement, c’est une réalité, et une réalité fatale. Plus il va, plus il vit et plus il nuit. L’auteur est parti pourtant de deux sentiments excellents et absolument sincères, la pitié et la justice. Il a vue quelle misère pesait sur le peuple, et il s’est ému. Il a vu combien les classes riches oubliaient leurs devoirs à l’égard des classes pauvres, et il s’est indigné. Rien de plus légitime. Malheureusement, son goût pour les formules absolues et ses habitudes de dogmatisme ont faussé l’esprit du livre et en ont exagéré les conséquences jusqu’à les rendre redoutables. Osons le dire. En dépit de quelques vues justes et fécondes qui s’y rencontrent, le Contrat social est l’arsenal où les pires doctrines socialistes ont trouvé toutes leurs armes. C’est de là que vient cette étrange théorie de la société, où se trouvent biffés les mots bienfaiteur et obligé, charité et reconnaissance, et qui transforme tous ceux qui ne possèdent pas en créanciers réclamant leur dû, et tous les possesseurs, en débiteurs reniant leur dette. La célèbre phrase de Proudhon, La