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comme elle est éloquente et généreuse ! De quel fonds d’admirable honnêteté elle part ! Quels nobles sentiments elle exprime ! Quel beau langage elle parle ! Quelle profondeur d’observation elle suppose ! Quel éclat d’imagination, cette verve jette sur cette colère ! Enfin, si vaillante est son indignation contre le mensonge, que le poète ne craint pas de dire par la bouche d’Eliante :

 
Dans ses façons d’agir il est fort singulier,
Mais j’en fais, je l’avoue, un cas particulier ;
Et la sincérité dont son âme se pique
A quelque chose en soi de noble et d’héroïque.


Héroïque ! Songez donc ! Héroïque ! Dans une comédie ! Sous la plume de Molière ! Un tel mot ne grandit-il pas singulièrement Alceste ? Et du même coup ne le débarrasse-t-il pas de ce masque de maussaderie dont on l’affuble si souvent ? Oui, Molé a eu raison de donner quelque chose de brillant à cette misanthropie même ! Molière l’a voulu ! Il aimait tant Alceste ! C’était sa création préférée. Sans doute, il lui donne des travers, parce que, créé par lui, il faut qu’il fasse rire ; mais il lui prête son cœur, car il veut qu’il aille au cœur. En réalité, qu’est-ce qu’Alceste ? C’est Molière lui-même. Lui aussi, le pauvre grand homme, il