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jette sur le passé qu’un coup d’œil, mais c’est le coup d’œil du génie. On dirait une de ces projections électriques qui remplissent l’horizon d’une lumière si vive et si crue, que les objets les plus lointains sont transportés devant nos yeux et deviennent proches.

Augustin Thierry s’honore d’être son disciple, mais sans être son imitateur.

Lui-même nous a raconté, dans des pages qu’on n’a pas oubliées, ses longs voyages de découvertes à travers le XIe siècle ; ses stations de huit heures, au fort de l’hiver, dans les galeries glaciales de la bibliothèque Richelieu ; au plus fort de l’été, dans l’atmosphère caniculaire de l’Arsenal, de Sainte-Geneviève et de l’Institut. Penché sur ces monceaux de papiers et de parchemins noirs de poussière, il va, fouillant les chartes, les chroniques, les manuscrits, les légendes ; il écoute les chants des bardes, les cris de désespoir des vaincus ; il rassemble pièce à pièce, membre à membre, tous ces morts tombés en poussière, et au bout de longues années de séjour dans le royaume des ombres, il en sort, les yeux perdus, mais un livre à la main, un livre qui est à la fois une histoire et un poème : La Conquête de l’Angleterre par les Normands.