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déchirements qui naissent de cette lutte, le mélange de joie et de transports qui s’y succèdent, s’encadrent dans une forme de poème absolument inconnue.

Lamartine, dans Jocelyn, dote la France de l’épopée familière. Sans doute l’Hermann et Dorothée de Gœthe marque un pas dans cette voie, mais quelle distance entre cette pastorale où je ne sais quoi de pastiche gâte l’impression des sentiments naturels, et cette œuvre absolument géniale, où tout est vie, vérité, pathétique ! Béranger a écrit quelque part : « Moi, que les vers font bien rarement pleurer, j’ai fondu en larmes en lisant Jocelyn. Grâce à Lamartine, la poésie la plus élevée peut tout dire maintenant. »

Ce dernier mot est décisif. Le style dans Jocelyn est novateur comme le poème lui-même. Mais, en même temps, l’écrivain reste fidèle à toutes les qualités géniales de notre poésie, l’élégance, l’harmonie, la clarté. Lamartine a ajouté une double corde à notre instrument, il ne l’a pas désaccordé. Je me suis parfois demandé quelle eût été l’impression de Boileau si on lui eût apporté des vers comme ceux-ci :

 
Le roi brillant du jour, se couchant dans sa gloire,
Descend avec lenteur de son char de victoire.