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Béranger est un vrai poète, mais n’est qu’accidentellement un grand poète. Il lui manque une qualité maîtresse : l’afflatus, le souffle. Chez lui, l’exécution trahit trop souvent l’inspiration. Il vise plus haut qu’il ne peut atteindre. Il veut faire entrer trop de choses dans un couplet, ou dans un vers. De là, parfois, dans l’ensemble de son œuvre, quelque chose de pénible, d’obscur, qui sent l’effort. Il n’a pas pu, comme La Fontaine, effacer toute trace de travail, à force de travail. Dieu sait pourtant combien il corrigeait ! Il m’a dit un jour : « La composition ne me coûte jamais qu’un effort agréable, mais j’ai toujours la fièvre en corrigeant. »

D’où vient donc que, pendant trente ans, il a compté autant que les plus célèbres ? A quoi tient le rôle considérable qu’il a joué parmi ses contemporains ?

Ici, la biographie doit s’ajouter à l’appréciation littéraire ; car, chez Béranger, c’est l’homme qui a complété l’artiste ; c’est sa valeur individuelle qui, jointe à sa valeur poétique, a fait un personnage si considérable, d’un simple chansonnier.