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porté un coup sensible à notre poésie elle-même. Notre beau vers tragique, que lui avaient légué nos maîtres, a dégénéré entre ses mains et s’est perdu sous la plume de ses imitateurs. Il a fait loi, il a fait école. Mme du Deffand raconte que de son temps il y avait, à Paris, soixante-neuf faiseurs de tragédies. Eh bien, pendant vingt-cinq ans, ces soixante-neuf prétendus poètes, tous élèves de Voltaire, ont versé dans le pur et limpide courant de la poésie française des flots d’alexandrins infectieux, qui ont altéré la source même.

On reproche aux auteurs dramatiques de l’empire leur goût pour la périphrase, leur horreur du mot propre, leur amour de l’abstraction. Mais n’est-ce pas Voltaire qui leur a donné l’exemple lorsque, dans Alzire, il a appelé des vaisseaux « ces châteaux ailés qui volent sur les eaux » ?

Il n’a fallu rien moins qu’une révolution, pour jeter bas ce système. La gloire de Victor Hugo est d’avoir été l’homme de cette révolution.

Ce qui a fait sa force, c’est qu’il est remonté droit à Corneille et au delà de Corneille. Il a nourri son vers de la vigoureuse sève de deux siècles de poésie. D’Aubigné lui a prêté la verve