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et ce qui ajoute encore à la grandeur de cette conception, c’est la conscience si nette qu’en a eue Voltaire. Il nous en reste deux témoignages irrécusables. D’abord sa préface, où il explique clairement son dessein ; puis un fait plus décisif encore, peu connu et qui va nous montrer à l’œuvre, en action, le double génie de Voltaire.

L’Orphelin de la Chine fut représenté à Paris pour la première fois, le 20 août 1755. Le succès de la pièce alla jusqu’au triomphe ; l’admiration pour les interprètes, Mlle Clairon et Lekain, jusqu’au délire. A peine libre, Lekain court à Ferney. Voltaire lui saute au cou, pleure en l’embrassant, et son premier mot est : « Je veux vous entendre ! Récitez-nous votre rôle. » Le petit comité est rassemblé ; Lekain commence, heureux de se montrer au poète, tout frémissant de la passion tartarienne (le mot est de lui) qu’il avait déployée dans le rôle. Mais quelle est sa surprise ? Au lieu des applaudissement qu’il attendait, il voit paraître sur le visage de Voltaire le malaise, puis l’indignation, puis une espèce de fureur, qui, quelque temps contenue, éclate enfin avec une explosion terrible. ― Arrête ! arrête ! le malheureux ! Il me tue... Il m’assassine !... Et là-dessus, sans