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A vingt-trois ans, il part pour l’armée. Sa noblesse ne lui permettait pas d’autre métier. Au bout d’un mois, il était l’idole de tous ses camarades. Mais comment le surnommait-on ? Le père ! Le père ? Pourquoi ce nom adressé à un homme si jeune ? C’est que ce jeune homme avait le don naturel de l’autorité. Quelque temps après son arrivée au camp, il dominait tous ses camarades. On ne l’admirait pas seulement pour son courage, on ne l’aimait pas seulement pour sa bonté, on le respectait, on le considérait, on le consultait. Il était né chef. Ce qui ajoutait encore à son ascendant et y mêlait je ne sais quel attrait mystérieux, c’est que, le soir venu, au lieu de prendre part aux divertissements, il se retirait sous sa tente et écrivait parfois très avant dans la nuit.

La guerre le soumit à une terrible épreuve. Il faisait partie de cette effroyable retraite de Prague, qui s’accomplit au milieu de mille périls, à travers les montagnes, les glaces, les avalanches. Une nuit, étant en observation sur le bord d’un fleuve gelé, frissonnant sous le manteau de frimas qui le couvre, il se met à penser aux riches de ce monde, endormis à cette heure dans leurs lits luxueux. Quel sentiment lui inspire cette