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homme, comme il n’écrit et ne parle à personne. Il se fait son homme d’affaires. Il se fait son protecteur auprès des ministres, il surveille l’impression de son livre, et, le jour de la publication, voici la lettre qu’il lui adresse : « Je sors de chez vous. Je voulais vous parler du volume que j’ai lu ce matin. Il y a un an que je dis que vous êtes un grand homme, vous avez révélé mon secret. Je m’unis avec transport à la grandeur de votre âme, à la sublimité de votre esprit, à l’humanité de votre caractère. Je vous conjure de m’aimer ! » Certes, les éloges hyperboliques ne manquent pas dans la correspondance de Voltaire ; mais comparez donc les flagorneries dont il est si prodigue, et qui se démentent par leur exagération même, avec ce cri parti de l’âme : Je vous conjure de m’aimer ! Enfin, Vauvenargues mort, Voltaire écrit sur lui deux lignes qui sont tout un portrait : « Je l’ai toujours connu le plus infortuné des hommes, et le plus tranquille. »

Je ne sais pas, dans l’œuvre de Voltaire, une seule phrase qui ait ce caractère de simplicité émue. Pour la bien sentir, il faut, je crois, se la lire tout haut, j’en ai fait l’expérience, et il s’est dégagé pour moi de l’harmonie même des syllabes, je ne sais quelle impression poétique