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son défaut absolu de toute délicatesse et de pureté. Quand on pense qu’il appelait Mme de Warens, maman ! Eh bien, est-ce qu’il aurait prononcé un tel blasphème s’il avait été élevé par sa mère ? Est-ce qu’il aurait écrit tant de vilenies dont les Confessions sont pleines, s’il avait eu près de lui sa fille pour les lire ? Et si nous arrivons à la grande tache de sa vie, à celle de ses actions qui mérite le nom de criminelle, est-ce que, s’il avait eu une femme digne de ce nom, il aurait mit ses enfants aux Enfants-trouvés ?

Un autre défaut qui choque singulièrement chez Rousseau, c’est tout ce qui se mêle de déclamation, de rhétorique, à son éloquence. La raison en est simple. Parlant de devoirs qu’il n’a pas pratiqués, de sentiments qu’il n’a pas éprouvés, il voit tout par les seuls yeux de l’imagination ; or, c’est une merveilleuse faculté que l’imagination. Divinatrice ! Évocatrice ! Soit ! Mais, comme dit Montaigne, quelle maîtresse d’illusion et d’erreur ! Elle trompe et elle se trompe. Elle éblouit plus qu’elle n’éclaire. Elle électrise plus qu’elle ne touche. Il y a du coup de théâtre dans les impressions qu’elle produit. Les contemporains s’y laissent prendre, mais la postérité est un juge plus