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ALBUM DE LA MINERVE.

À la fin Pétrini, se sentant fortement pressé par Laurens, se mit à reculer vers la dernière caverne. Il avait reçu plusieurs blessures et se sentait faiblir. Le sang de Laurens coulait aussi ; mais son ardeur l’emportait et une soif de vengeance qui s’était tout-à-coup développée chez lui, le mettait au-dessus de toute autre sensation.

— « Viens la prendre ! » m’as-tu dit, criait-il à Giacomo, eh ! bien, je viens ! je viens !!

C’était un beau combat que celui de ces deux hommes. La noblesse des instincts, la sainteté du dévouement d’un côté ; de l’autre les appétits sanguinaires surexcités par une lubrique passion.

Ils allaient se saisir corps à corps quand, tout-à coup la tenture qui fermait la porte de la troisième caverne se souleva et la figure d’Ernestine, pâle, défaite, presque mourante se dressa devant eux.

Laurens, qui avait la figure tournée de ce côté, fut le premier à l’apercevoir. Il resta frappé comme devant l’apparition d’un spectre, mais son saisissement ne fut pas de longue durée. Il se rua avec une violence fébrile sur Pétrini qui fut renversé du choc.

En s’écrasant l’Italien aperçut Ernestine que ses dernières forces venaient d’abandonner et qui tombait lourdement en arrière.

Il eut comme une crispation de rage, et, d’un effort prodigieux, il se dégagea de l’étreinte de Laurens, saisit son coutelas et le brandissant d’un air égaré.

— Puisque tu veux l’avoir, dit-il, viens donc prendre son cadavre ! Et, prompt comme la pensée, il abaissa son coutelas qu’il plongea jusqu’au manche dans le sein de la jeune fille.

Ce fut son dernier crime. Laurens tomba sur lui en rugissant, et d’un coup terrible il lui ouvrit le crâne.

À ce moment le combat faisait rage dans la grande caverne et les chances se balançaient également, quand, tout-à-coup, un incident inattendu vint changer la face des choses.

De la fissure qui servait de cheminée retentit un coup de feu qui fit rouler sur le sable un des brigands de Pétrini. C’était le brave Duroquois qui entendant la fusillade, et inquiet sur le sort de ses amis, avait entrepris avec deux de ses hommes, la descente de l’entonnoir, pour venir voir ce qui se passait.

De ce moment, la victoire ne fut plus douteuse. Ceux des brigands qui restaient, écrasés par ce renfort inattendu, cessèrent de se défendre et demandèrent quartier.

On les lia solidement et les vainqueurs se comptèrent. Six étaient morts et tous les autres plus ou moins blessés.

De l’autre côté, il y avait dix morts et le reste était fort maltraité.

Gilles Peyron, horriblement mutilé, dormait de son dernier sommeil dans un coin de la caverne, pendant que Beppo, fidèle à son caractère jusqu’au dernier moment, était écrasé sous un baril d’eau de vie.

Laurens était évanoui près du cadavre de Pétrini.

Landau poussa un cri de douleur à la vue d’Ernestine, dont la figure décolorée, présentait toutes les apparences de la mort.

Il s’approcha d’elle, cependant, et reconnut avec bonheur qu’elle n’était qu’évanouie.

Le poignard de Pétrini avait glissé sur une médaille en argent que la jeune fille portait constamment sur elle et n’avait fait qu’une blessure sans gravité dans les chairs extérieures.

Au moment où Landau déposait Ernestine sur le lit dans la grotte du fond, la vieille Régine qui pendant toute la bataille avait fumé tranquillement sa pipe dans une crevasse du roc, se présenta à lui.

— Laisse-moi faire, Jacques dit-elle, j’entends mieux cela que toi et je me charge de la faire revenir.

Landau qui connaissait la vieille de longue date, s’éloigna aussitôt, et, après avoir laissé Laurens au soins de l’un des soldats, il s’élança vers la plateforme pour aller annoncer la nouvelle à Maximus.

ÉPILOGUE.

Un mois après, vers neuf heures du matin, Laurens en tenue de voyage était à cheval devant le château.

Sur le perron, notre brave Maximus, tout ragaillardi, entourait de son bras la tête d’Ernestine.

La jeune fille avait repris ses fraîches couleurs et un sourire joyeux éclairait sa figure.

Céleste était étendu dans un fauteuil pendant que Duroquois gazouillait tendrement à ses pieds.

— Comme cela, dit Maximus en s’adressant au jeune homme, c’est une affaire entendue et décidée ; nous vous attendons dans trois semaines au plus. Vous savez que nous avons hâte, dépêchez-vous. N’est-ce pas, Ernestine ?

La jeune fille devint rouge comme une cerise.

— Vous ne pouvez pas être plus impatient que moi, dit Laurens ; dans trois semaines au plus tard.

— Allons, brigand, sauvez-vous, dit Maximus, et revenez-nous bien vite. J’ai encore mes droits et j’embrasse pour vous votre fiancée.

Le bonhomme appliqua un baiser résonnant sur la joue d’Ernestine qui se jeta en pleurant dans ses bras.

— Ne craignez pas, dit Maximus, je la connais, ce sont des larmes de bonheur.

Laurens souleva son chapeau et s’éloigna dans l’avenue au galop de sa monture pendant que la jeune fille agitait son mouchoir jusqu’à ce qu’il eût disparu dans le lointain.

— Nom d’un nom, dit Duroquois en se levant, je serai le parrain de son premier.

— Chut ! dit Maximus en montrant Ernestine. Rentrons continua-t-il en s’adressant à la jeune fille ; et vous, Duroquois, attention à votre cœur, car nous pourrions bien faire deux mariages au lieu d’un.

Céleste essaya de rougir, pendant que Duroquois tout confus reprit sa position et se remit à roucouler aux pieds de la vieille fille.

Évidemment Maximus n’avait pas tort et pour cette fois du moins il put se vanter d’être un peu prophète.

Napoléon Legendre.
FIN.