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G ILLES dressa sa tête alourdie.

— Ça y est ! dit-il d’une voix éraillée.

— Bien ! je continue. Il y a, vis-à-vis de l’Île-aux-Grues, un gros navire anglais, chargé de bois et mouillé dans vingt brasses. C’est le « Traveller » un fin voilier et une cargaison magnifique.

Ce vent de Nord-Est va durer au moins douze heures, et tout ce temps là, le navire va rester dans son mouillage.

Le pilote engagé pour la descente est François Crillon, un ivrogne qui se soûle à l’heure qu’il est dans la bar, car je lui ai donné rendez-vous ici pour ce soir.

Écoute-moi bien, tu n’es pas bête, et c’est pour ça que je te prends ; avec ça que tu ne dois pas faiblir au grand moment.

Crillon une fois parti à boire en a pour longtemps.

Au petit jour, le capitaine sera ici pour voir ce qu’il fait : naturellement il le trouvera encore soûl.

J’embarque à sa place, et tu viens avec moi, à titre d’assistant.

Comprends-tu ?

— Pas encore, dit Gilles, dont la tête tanguait considérablement.

— Alors tu es plus bête que je ne pensais. Écoute donc ! Nous voilà tous les deux à bord. Bon ; il est tard, la navigation du Golfe est difficile, et le Capitaine nous retient pour la traversée, ça ne peut pas manquer. Dans le bas du fleuve nous avons une tempête et un accident ; le capitaine et son second tombent à la mer et boivent leur dernier coup ; impossible de les sauver, ces Anglais, ça va tout droit au fond. Ha ! ha ! ha ! Deux rosbifs de plus ou de moins qu’est-ce que cela fait ?

Vois-tu maintenant ?

Une fois le Capitaine et l’autre partis, nous sommes maîtres du navire que nous conduisons aux Îles.

L’équipage ne dit rien pourvu qu’on le paye.

Rendus là nous vendons navire et cargaison ; ce qui fait une petite fortune passable.

Tu restes là si tu veux, et tu prends un beau-père créole ; quant à moi, je reviens manger ma rente ici, et je me fiche de tout le monde. C’est à prendre ou à laisser !

Le père Chagru avait développé la dernière partie de son plan, tout d’une haleine et sans respirer.