Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
ALBUM DE LA MINERVE.

Clara Daft — car c’était elle — pouvait avoir trente cinq ans. Son visage labouré par la douleur conservait encore cependant une grande distinction. Sa chevelure abondante et toute blanche attirait d’abord le regard, pendant que son air doux et ses grands yeux bleus aux reflets profonds prévenaient en sa faveur.

Maximus se sentit trop ému en présence de cette femme qui souffrait comme lui.

Les grandes douleurs ont leurs secrètes sympathies.

— Madame, dit-il, quoique je n’aie pas l’honneur de vous connaître, je sais que vous avez souffert, et que vous méritez tous les égards ; soyez la bienvenue sous mon toit, c’est celui d’un honnête homme qui peut vous comprendre et vous estimer.

La femme de Gilles était trop faible pour parler, mais elle fit un léger signe de tête et son regard exprima tous ses remerciements.

François raconta alors tout ce qu’il savait de cette triste histoire et Maximus dut faire appel à toutes ses forces pour ne pas laisser éclater ses sanglots pendant que Céleste, moins fière, pleurait à chaudes larmes.

— Maintenant, Madame, dit Maximus, quand François eut terminé son récit, j’espère que vous voudrez bien accepter notre hospitalité jusqu’à ce que toute cette triste affaire soit terminée d’une manière ou d’une autre. Le même homme s’est joué de votre amour et de mon amitié, prions Dieu qu’il soit puni selon ce qu’il le mérite.

Clara Daft sembla alors retrouver quelque force ; elle se souleva péniblement :

— Ah ! monsieur, dit-elle, je sais qu’il est un grand coupable, mais je lui ai bien pardonné, moi, tâchez de n’être pas trop sévère envers lui. Souvenez-vous qu’il est mon mari et surtout qu’il est le père de mon enfant.

— Hélas ! dit Maximus, je ferai mon possible ; mais je ne voudrais pas vous donner une espérance illusoire. Cependant, ne vous inquiétez pas trop et ayez confiance en Dieu.

Maximus se retira gravement avec François et le père Chagru, laissant la jeune femme sous les soins de Céleste.

CHAPITRE XIX.

En s’élançant du balcon, Giacomo Pétrini était heureusement tombé sur un arbuste, ce qui avait amorti sa chute. Il se relevait sans mal, quand la balle de l’un des pistolets tirés du balcon l’atteignit au bras gauche. Il sentit un froid subit et se palpa le bras. Heureusement l’os n’était pas atteint ; la blessure n’était que dans les chairs. Il enroula son mouchoir autour de sa manche et sauta par dessus la clôture du jardin. Il était temps ; comme il prenait pied dans le champ, les trois soldats paraissaient dans le jardin et un dogue énorme venait d’être lâché par un des domestiques. Pétrini prit sa course et ne s’arrêta que lorsqu’il fut sur la lisière de la forêt, à environ deux milles du château.

Il se reposa quelque temps et pansa de nouveau sa blessure après quoi il se remit en marche d’un pas plus tranquille.

Il pouvait être une heure du matin lorsqu’il arriva à la caverne.

Ernestine était endormie et la vieille Régine fumait sa pipe en rêvassant près du feu pendant que le marquis et Luron ronflaient sur les feuilles dans un coin. Pétrini s’approcha d’eux et les poussa vivement.

— Debout ! fit-il, nous allons avoir de la besogne et il fera chaud aujourd’hui !

Les deux bandits furent sur pied en un moment tout étonnés de voir le maître à pareille heure.

— Partez vite, leur dit-il, rassemblez tous ceux que vous trouverez des anciens et amenez-les avec des armes et surtout des provisions. Nous serons probablement assiégés au point du jour. Pierre ira avec vous. Je vous laisse les détails ; voici de l’argent et dépêchez-vous !

Il mit plusieurs rouleaux d’argent dans les mains de Luron, après quoi les trois hommes partirent en toute hâte.

Pétrini se dirigea alors vers la grotte du fond où reposait Ernestine.

Rendu à quelques pas du rideau, il s’arrêta dans l’ombre et appela à voix basse.

Ernestine s’éveilla.

— Qui m’appelle ? dit-elle en se levant.

— Moi, Giacomo Pétrini, qui suis ici pour vous ; je vous attends dans la grotte voisine.

Il se retira discrètement pendant qu’Ernestine s’habillait à la hâte en remerciant Dieu de cette protection inattendue.

Au bout de quelque temps, elle parut dans la seconde grotte où brûlaient deux torches de résine qui répandaient leurs lueurs fantastiques sur les voûtes brillantes.

En voyant Pétrini elle devint affreusement pâle.

— Vous n’êtes donc pas mort ? dit-elle. Ah ! Dieu m’a écouté, il a fait un miracle !

Pétrini tomba à genoux et saisit les mains de la jeune fille ; il la regarda pendant quelque temps avec une sorte d’extase, :

— Enfin, dit-il, je vous revois ! Merci, mon Dieu, merci ! Maintenant, qu’ils viennent, je les attends ; votre présence me donne je ne sais quelle force et quelle confiance, il me semble que je suis un tout autre homme ! Loin de vous, le chagrin, l’inquiétude m’ôtaient tout mon courage, toute mon énergie : près de vous, je me sens fort, fort de votre amour, fort de cette douce confiance que vous me témoignez !

En disant cela, il semblait transfiguré ; son regard humide se tournait doucement vers celui de la jeune fille : il la fascinait.

— Que vous êtes bon et brave ! dit-elle, en regardant Pétrini, et comme vous avez souffert pour moi !

En ce moment, elle oubliait tout, la pauvre enfant, sa famille, ses amis, et presqu’au terrible danger qui semblait la menacer.

Pourtant quand ils eurent tous deux pris place sur un banc et que la première surprise fut passée, Ernestine se souvint :

— Et mon oncle ! dit-elle, tout-à-coup ; Ah ! parlez-moi de mon oncle !

Pétrini baissa la tête.

C’est vrai, dit-il, je vous avais promis d’aller calmer sa douleur, mais j’ai manqué à ma parole, parce qu’il m’a été impossible de la tenir. Lorsque je vous ai laissé ce matin, il m’a fallu attendre cinq