Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/76

Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
ALBUM DE LA MINERVE.

— C’est juste, dit-il, puisque vous savez tant de choses, vous devez connaître cette caverne et vous allez nous y conduire.

— Tout de suite, dit Landau, mais à une condition, sans laquelle non seulement, la chose serait impossible, mais nous y perdrions la vie jusqu’au dernier.

Quel est cette condition ?

— Il faut que ces deux hommes restent ici, sous bonne garde — et il désignait du doigt Pétrini et Gilles Peyron.

— Et de quel droit, dit Giacomo d’un ton fier, cet homme me ferait-il rester ici, moi ?

— C’est vrai, dit Maximus, vous exigez trop. Cependant si Monsieur Pétrini et mon intendant veulent bien consentir à rester d’eux-mêmes : ce serait peut-être un moyen d’accommoder les choses.

— Oui, certes dit l’Italien avec amertume, afin que ce brigand ait tout le loisir de nous accuser et que nous ne soyons pas là pour nous défendre.

Je regardais jusqu’ici la chose comme une petite comédie mal placée ; mais puisqu’on veut prendre les choses au sérieux, je m’en tiens à mon droit. Où cet homme ira, j’irai : et s’il est soudoyé pour me noircir, je serai du moins là pour le confondre.

La nuit était belle au dehors : mais quelques gros nuages cependant alourdissaient l’atmosphère ; il faisait dans la salle une chaleur étouffante et Maximus avait fait ouvrir la grande porte et fenêtres donnant sur le balcon à plus de vingt pieds du sol.

Tout en parlant, Pétrini s’étaient insensiblement rapproché de cette ouverture comme pour aspirer l’air frais, et il essuyait son front trempé de sueurs.

Kobus suivait ses mouvements avec inquiétude mais ne disait rien.

— Enfin, dit Maximus, puisque M. Pétrini ne veut pas rester, puisqu’il croit que sa réputation en souffrirait ; il est le maître de ses actions et de sa conduite, et il faut en passer par là.

— Dans ce cas dit Laurens, puisque Monsieur, ne veux pas agir de bonne grâce, nous allons employer un moyen plus efficace. Monsieur Kobus, dit-il en se tournant vers l’agent de police, faites votre devoir !

Kobus tira deux papiers de la poche de son habit et s’avança vers Maximus :

Monsieur, dit-il, en saluant, je regrette beaucoup d’avoir à remplir un pénible devoir sous votre toit.

— Maximus, pensait qu’il s’agissait de lui, tremblait de tous ses membres —, mais la loi me commande, il faut que j’obéisse. Voici un mandat d’amener contre M. Giacomo Pétrini, et Gilles Peyron, ici présents — Maximus respira — pour enlèvement illégal d’une héritière, ce qui constitue une félonie ; en voici un autre contre les mêmes personnes pour avoir contrefait les monnaies de sa majesté, ce qui constitue une autre félonie. Monsieur Pétrini est et vous, Gilles Peyron, vous êtes mes prisonniers.

Pétrini était devenu d’une pâleur de marbre mais n’avait pas fait le moindre mouvement. Seulement ses prunelles eurent des reflets de l’adresse de Laurens et de Landau,

Kobus s’approcha de lui et lui mit la main sur l’épaule pendant qu’un des hommes en faction venait d’en faire autant à Gilles Peyron lequel se laissa en outre passer les menottes de la meilleure grâce du monde ; il était comme hébété et tournant ses yeux en tous sens sans pouvoir parvenir à les fixer.

Cependant quand l’homme voulut aussi prendre la main de Pétrini pour lui faire subir la même opération, ce dernier eut comme un frisson étrange, il se redressa de toute sa haute taille et son œil lança un éclair fauve.

Attendez ! gronda-t-il : avant de faire subir cette humiliation à Giacomo Pétrini, écoutez ce qu’il a à vous dire !

Kobus et l’homme s’étaient un peu écartés, dominés par cet ascendant magique qui semblait s’émaner de toute la personne de Pétrini.

Ce dernier continua :

— J’étais venu honnêtement, sincèrement dans cette maison où je rencontrai une jeune fille que j’aimai de toutes les puissances de mon âme.

Vous, Gustave Laurens, traîtreusement, sournoisement, vous êtes venu vous jeter sur mon chemin. Vous avez semé la calomnie sur tous mes pas ; vous m’avez espionné, suivi à la piste, et, enfin, vous êtes descendu au rôle infâme de délateur pour essayer de vaincre celui que vous n’aviez pas le courage de combattre loyalement et à visage découvert.

Comme un voleur nocturne, vous avez voulu me dérober celle que j’aimais. Eh ! moi, à mon tour, je l’ai soustraite à vos atteintes. Oui ! elle est en mon pouvoir, elle est à moi, je la garde et j’en ai le droit, puisqu’elle m’aime : elle me l’a dit hier dans un long baiser !

— Misérable ! rugit Laurens,

— Maintenant, si vous voulez l’avoir, osez venir la prendre, je vous attends à ses côtés !

À ces derniers mots et pendant que tous les assistants électrisés par ces paroles étaient sous le coup d’une violente émotion, Pétrini, d’un mouvement rapide s’élança par la fenêtre ouverte sur le balcon, enjamba la balustrade et disparut dans le vide.

Kobus et l’un des hommes se précipitèrent à sa suite et déchargèrent leurs armes à tout hasard, on entendit deux détonations, un cri, puis ce fut tout.

Quand les trois autres soldats qui étaient descendus en toute hâte, furent rendus sur la terrasse, en arrière, tout avait disparu et le silence régnait aux alentours.

Au salon, tout le monde était resté frappé d’étonnement.

Laurens fut le premier à se soumettre, et se tourna vers Maximus.

— Je ne tiens aucun compte des injures que ce misérable vient de m’adresser, dit-il, mais vous voyez si j’avais raison et si l’honneur et la vérité sont de mon côté.

Vous avez été trompé, horriblement trompé, monsieur par ces deux hommes. Dieu veuille que nous puissions encore réparer tout le mal qu’ils ont fait.

À ce moment, Michel Chagru parut dans le corridor. Laurens alla vivement vers lui et lui dit quelques mots tout bas, après quoi ce dernier s’éloigna.

Un instant après, il reparut accompagné de François et de la femme habillée de noir que nous avons laissée dans le boudoir d’Ernestine.

Elle n’eut pas plutôt jeté les yeux sur Gilles Peyron qu’elle poussa un cri et tomba à la renverse.

(À CONTINUER.)