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ALBUM DE LA MINERVE.

CHAPITRE XVIII.

Dans le grand salon, vers la même heure, chacun était au rendez-vous.

Pétrini et Gilles Peyron avaient l’air inquiet et regardaient souvent du côté de la porte, comme dans l’attente de quelqu’évènement.

Maximus semblait encore plus abattu que dans l’après-midi, et Céleste larmoyait dans un coin, pendant que le bon Duroquois s’employait de son mieux à la consoler.

Kobus, accoudé sur le piano fermé, rêvait ; et, dans le vestibule à portée de voix, quatre solides gaillards, à l’air déterminé, revêtus du costume militaire, et armés de sabres courts, montaient la garde en silence, sans se douter qu’ils fussent la cause des inquiétudes de Gilles.

Maximus se leva.

— Mes amis, dit-il, j’ai beau réfléchir, le chagrin trouble mes idées et je ne sais plus à quel parti m’arrêter ; j’ai besoin de vos conseils, qu’allons-nous faire ?

— Chercher encore, dit Pétrini, chercher toujours, jusqu’à ce que nous la trouvions Peut-être Dieu aura-t-il pitié de nous à la fin.

— Si nous pouvions avoir quelque donnée, quelqu’indice, dit l’agent Kobus.

— Messieurs, dit Laurens en se louant, je crois que j’ai ici quelque chose qui pourra peut-être nous mettre sur la voie.

Et il tira de la poche le papier qu’il avait reçu le matin.

Tous les regards se tournèrent à la fois vers lui. Pétrini et Gilles éprouvèrent un frisson. Quelque chose les avertissait que le danger venait de ce côté.

— Depuis ce matin, poursuivit Laurens, il est venu à ma connaissance un fait dont je veux vous faire part. Si j’ai tardé jusqu’à présent, c’est que je voulais éclairer mes doutes et ne pas m’engager à la légère. Maintenant ces doutes n’existent plus et mon devoir est de parler.

L’attention redoublait. Laurens fit un signe à Kobus qui se pencha vers la porte.

Au même instant, les quatre hommes qui étaient dans le vestibule, s’avancèrent en silence et vinrent se placer dans les deux portes du salon, le sabre au poing.

Un frisson parcourut l’assemblée.

Kobus et Laurens seuls ne tremblaient pas.

Ce dernier qui était au fond de la chambre, fit quelques pas et vint se placer près de Maximus, dans l’angle entre les deux portes de sortie.

Il déploya le papier qu’il avait à la main et le lut lentement d’un bout à l’autre.

Un cri s’échappa de toutes les poitrines. Gilles Peyron fit un soubresaut, mais Pétrini ne broncha pas. Au contraire, sa figure était éclairée d’un curieux sourire.

— Voulez-vous avoir la complaisance de me laisser voir cette lettre ? dit-il, en s’avançant vers Laurens.

— C’est impossible, Monsieur, dit celui-ci, en glissant le papier dans sa poche…

— Comment ! C’est bien le moins, il me semble, que je prenne connaissance d’une pièce qui m’accuse d’un si horrible forfait !

— Je vous ai lu la pièce telle qu’elle est, monsieur, et je jure, sur mon honneur de soldat que je n’y ai ni changé ni ajouté un mot. Si vous avez quelque chose à répondre à cette accusation, répondez-y.

— Réellement, dit Pétrini, je crois que vous voulez faire une mauvaise plaisanterie ; mais je vous avertis que je ne suis pas prêt à me laisser jouer par vous. Si toutefois il vous plaît de descendre au rôle d’accusateur, prouvez au moins ce que vous avancez.

Pétrini articula ces paroles d’un ton ferme et digne.

Maximus se tourna vers Laurens.

— Le fait est, Monsieur, dit-il, que vous venez de porter une accusation extrêmement grave ; et, si vous n’avez pas de preuves…

— La preuve ne se fera pas attendre, Monsieur ; je l’espère du moins, veuillez attendre un moment.

Il se tourna vers Kobus auquel il fit un signe.

Ce dernier sortit et on entendit dans le vestibule, trois coups de sifflet aigus et rapprochés.

Quelques instants après, Kobus reparut à la porte suivi de Landau qui s’approcha hardiment, son feutre à la main.

Giacomo pâlit affreusement ; Gilles Peyron laissa échapper un cri sourd.

— Voici ma preuve, dit Laurens ; elle va parler.

En même temps, il présenta la lettre à Landau.

— De qui est-ce papier ? lui dit-il.

— De moi, monsieur, articula Landau d’une voix ferme.

— Ce qu’il contient est-il vrai ?

— Sur la part que je prétends au paradis, c’est la vérité d’un bout à l’autre. Sinon que Dieu me fasse mourir à l’instant, moi, le seul soutien de ma vieille mère.

— Il ment ! murmura Pétrini, Laurens continua.

— Comment ces faits sont-ils venus à votre Connaissance ?

— J’ai surpris la conversation des deux hommes de Pétrini qui ont fait le coup.

— Leur nom ?

— André Luron et Beppo Salvi.

— Êtes-vous satisfait ? poursuivit Laurens, en se tournant vers Maximus.

— Jusqu’à présent, oui, dit-il ; il faut maintenant savoir la réponse. Giacomo Pétrini, continua-t*il en se tournant vers ce dernier, vous avez entendu : qu’avez-vous à répondre ?

— Rien, fit-il fièrement, si ce n’est que cet homme-là ment et qu’il est incapable de prouver ce qu’il vient d’avancer.

— J’aime à vous croire, dit Maximus, mais la chose vaut la peine que nous la poussions jusqu’au bout.

— Poursuivez, Monsieur. Personne plus que moi n’est désireux de voir cette affaire s’éclaircir. Il y a d’ailleurs un moyen bien simple, si cet homme dit vrai, qu’il nous conduise à la caverne dont il parle, nous verrons bien si je suis un honnête homme ou un infâme.

Laurens eut une appréhension. — Ou cet homme est sincère, se dit-il, — et alors j’ai été trompé, ou bien il brûle ses vaisseaux, et alors il doit nous tendre quelque piége de sa façon.

Il n’eut pas le temps de réfléchir plus longtemps ; Maximus s’adressait à Landau :