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ALBUM DE LA MINERVE.

vé près de lui sur le perron, quelques instants avant le départ.

Laurens avait attaché son cheval dans un fourré et s’était assis sur une pierre mousseuse. Le front dans ses mains, il réfléchissait à ce qu’il devait faire, lorsque tout à coup, il tressaillit. Il venait d’entendre remuer les branches à quelques pas derrière lui.

Il se leva d’un bond, mit la main à ses pistolets et s’adossa à un gros frêne afin de n’être pas surpris par derrière, puis il se mit à écouter et à fouiller le bois du regard. Il allait se rasseoir, persuadé qu’il s’était trompé, lorsque le même bruit se fit encore entendre, et au même moment la figure de Jacques Landau, un doigt sur la bouche, se montra derrière un arbre voisin.

L’homme s’approcha en silence.

— Vous avez ma lettre ? dit-il à voix basse.

— Oui ; c’était donc de vous ?

— Certainement.

— Alors pourquoi n’avez-vous pas signé ?

— Elle pouvait tomber en d’autres mains que les vôtres.

— C’est vrai ; vous avez raison. À présent, êtes-vous certain des faits que vous avancez ?

— Oui ; mais ne parlons pas si fort ; car nous sommes dans un voisinage terrible ; ici les feuilles des arbres sont autant d’oreilles.

— Alors Mademoiselle Moulins est près d’ici ? reprit Gustave, d’une voix plus basse.

— Voici le Pic-Bleu, dit Landeau, en montrant le rocher qui s’élevait devant eux ; sous ce pic est une caverne : c’est là qu’elle est prisonnière.

— Alors comment entrer ?

— La chose n’est pas facile, mais elle est possible.

Et Landeau donna à Laurens la description que nous avons déjà faite dans un chapitre précédent.

Le jeune officier, plein d’impatience, le laissa à peine finir.

— Allons de suite, dit-il ; il faudra qu’ils la tiennent bien, s’ils veulent la garder !

Il s’était levé et avait pris Landau par le bras pour l’entraîner.

Celui-ci l’arrêta.

— Ne gâtons pas les choses, dit-il. D’abord, en plein jour, avec tous les mots-de-passe possibles, la corde ne descendra pas ; ou bien si elle descend, soyez certain qu’elle sera ensuite coupée avant que nous arrivions sur le plateau. Une chute de 50 à 60 pieds sur le roc est une chose sérieuse. Supposons, pourtant que nous entrions même dans le couloir, nous serons démolis avant d’avoir pu faire dix pas. Je connais la caverne et je sais les petites surprises que l’on peut y rencontrer.

— Alors, que faire ?

— S’emparer de Pétrini et de Gilles Peyron. Ces deux là coffrés, toutes les difficultés seront aplanies et la caverne sera en notre pouvoir.

Laurens se mit à réfléchir. Les dernières paroles de Landau réveillèrent ses appréhensions. Cet comme là était-il sincère, voulait-il le servir, ou bien n’avait-il d’autre motif que de satisfaire à l’endroit de Pétrini une vengeance personnelle ?

— À la fin, se dit-il, il faut risquer ; il m’a l’air honnête, et s’il veut trahir, eh-bien, je serai sur mes gardes.

— Quel serait alors votre plan, poursuivit-il tout haut ?

— Combattre la ruse, par la ruse, l’audace par l’audace, c’est le seul moyen d’arriver à un résultat.

Quand vous reverrez Pétrini tout-à-l’heure ayez l’air découragé et dites que vos renseignements vous avaient trompé. Faites-en autant pour Gilles Peyron.

Ce soir, il y aura probablement au château une réunion pour préparer de nouvelles recherches, Tâchez que deux ou trois hommes résolus soient là avec l’agent de police. Alors faites part publiquement de ce que je vous ai dit. Accusez sans crainte Pétrini et Gilles Peyron. Si l’on demande des preuves, je serai là et je paraîtrai au bon moment. Maintenant, il commence à se faire tard ; rejoignez votre parti ; et comptez sur moi.

Landau partit sur ces paroles et se perdit dans le bois.

Laurens retourna à son cheval et sauta en selle.

Comme il allait s’éloigner, il lui sembla voir glisser une masse grisâtre des branches d’un hêtre touffu ; mais la chose se fit trop vite pour qu’il pût s’en rendre compte.

Si le bois avait été moins épais, il aurait pu voir que cette masse avait une tête et des jambes et qu’elle courrait de toutes ses forces dans la direction qu’avait prise Jacques Landau.

Quand Laurens arriva dans l’éclaircie, tous les autres étaient rendus et l’attendaient.

Rien, dit Maximus, d’un air découragé, rien encore ?

— Rien, répondit Laurens du même ton ; c’est désespérant.

— Allons, mes amis, poursuivit Maximus, nous recommencerons demain dans une autre direction, j’espère au moins que vous ne m’abandonnerez pas.

— Non, non, ! dirent toutes les voix.

— Alors ce soir, au château, je vous attends ; nous discuterons un nouveau plan, et peut-être que le Ciel nous viendra en aide.

Il reprit tristement le chemin du logis, suivi de toute la troupe.

(À CONTINUER.)