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ALBUM DE LA MINERVE.

— Mon Dieu, se disait-elle, est-ce que je dors ou suis-je éveillée ? Ne serais-je pas sous l’effet de quel qu’affreux cauchemar ! Pourtant, je me souviens bien ; la source était là ; je regardais les fleurs ; ils se sont élancés sur moi, j’ai senti les branches qui me fouettaient la figure, puis… je me suis éveillée ici, dans cette prison, Mon Dieu ! qu’ai-je donc fait. Oh ! mon pauvre oncle ! sait-il où je suis ; et Giacomo ? si au moins…

À ce moment la portière se souleva doucement ; Ernestine se retourna ; Pétrini était devant elle, pâle, les vêtements en désordre et un doigt sur la bouche.

— Chut ! fit-il, pour réprimer un cri qui allait s’échapper des lèvres de la jeune fille ; ma vie et la vôtre sont en danger, silence !

— Mon Dieu ! murmura-t-elle tout bas, en tendant les mains vers Pétrini, c’est bien vous ? Alors, je suis sauvée !

— Pas encore, dit-il en serrant les deux mains qu’elle lui tendait, mais nous allons au moins y travailler. Que je me remette un peu. Ah ! j’ai eu bien du mal, pour parvenir jusqu’ici et vous trouver.

Deux grosses larmes roulèrent sur ses joues et il se laissa tomber sur un banc comme écrasé par la faiblesse et l’épuisement.

Décidément, c’était un grand comédien que Giacomo Pétrini.

Quand il eut soupiré et qu’il se fut essuyé le front pendant plusieurs minutes, il reprit d’une voix presque mourante :

— D’abord laissez-moi vous dire que j’ai vu votre oncle ce matin ; il est triste mais plein d’espoir. Ah ! s’il pouvait savoir, maintenant, que je vous ai retrouvée !

— Mais il le saura bientôt, n’est-ce pas ?

— Si je sors d’ici vivant, je vous le jure !

— Dieu ! est-ce que vous seriez prisonnier, vous aussi !

— Chut ! ne parlez pas si haut. Vous ne connaissez pas le lieu où vous êtes. C’est une immense caverne, remplie de bandits et d’armes de toute espèce. À l’heure qu’il est nous sommes entourés, et, d’un moment à l’autre, si l’on soupçonnait ma présence ici, on pourrait me tuer sans merci.

— Alors nous sommes donc perdus, grand Dieu.

— Pas encore, je vous l’ai dit. C’est une espèce de miracle qui m’a conduit ici. En battant la forêt — car depuis hier, nous sommes tous à votre recherche — j’ai trouvé dans la montagne une fissure dans laquelle je me suis engagé, poussé par la Providence sans doute. Après des efforts inouïs, je suis parvenu jusqu’à vous. Tout me porte à croire que ce chemin par lequel j’ai passé n’est pas connu des bandits qui vous retiennent prisonnière, car il n’était pas gardé. Cependant, ils sont là sept ou huit dans la caverne voisine, j’ai entendu leurs voix. Si je puis retourner par le même chemin sans être vu, nous reviendrons en force pour vous sauver ; mais si je suis découvert…

— Alors ?

— Alors, dit-il d’une voix douce et en penchant la tête, alors priez Dieu pour moi, car ma fin sera proche !

— Puisqu’il en est ainsi, emmenez-moi avec vous, et, s’il faut mourir nous mourrons ensemble ; car ajouta-t-elle en tendant les bras vers lui, et lui saisissant les mains je sens que je ne vous survivrais pas !…

— Oh ! mon Dieu ! dit Pétrini, tant de bonheur et la mort si proche !

Mon Dieu est-il possible !

Il se tordait les mains et pleurait à chaudes larmes.

Emmenez-moi, emmenez-moi ! disait Ernestine.

— Hélas ! c’est impossible ; vous ne pourriez jamais franchir les précipices à travers lesquels j’ai passé.

— N’importe, nous mourrons au moins ensemble ; d’ailleurs quelque chose me dit que nous réussirons.

— Enfant ! je le voudrais, mais ce serait nous nous perdre tous les deux. Ayez confiance ; si je puis sortir inaperçu, ce soir, vous serez dans les bras de votre oncle. Priez Dieu et espérez !

— Il se dégagea doucement et disparut par le rideau avant que la jeune fille eût le temps de l’arrêter. Au même moment, un coup de feu ébranla les voûtes de la caverne voisine et fut suivi d’un long cri d’angoisse. Ernestine tomba évanouie.

Pétrini qui avait préparé soigneusement toute cette petite scène, s’éloigna tranquillement, après avoir envoyé la vieille Zégine prendre soin de sa fiancée.

— Le coup de feu a fait son effet, se dit-il ; elle s’éveillera, sous l’impression que je suis mort ou tout au moins blessé pour elle. Allons maintenant consoler Maximus, lequel a une grande chance de devenir mon oncle chéri.

Sur ces mots, il s’engagea dans l’escalier tortueux sous la conduite de Pierre qui l’éclairait de sa lanterne.

Au bout de dix minutes, lorsqu’Ernestine revint à elle, Zégine était assise et cousait en chantonnant au pied de son lit.

— Est-il mort ? furent ses premières paroles.

— Qui ? mort ? fit la vieille d’un ton bourru.