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ALBUM DE LA MINERVE.

— Mon Dieu ! mon Dieu, dit Maximus d’un air accablé, est-il possible, est-il possible ! Il baissa la tête, puis au bout d’un instant il ajouta :

— Il est minuit passé ; retournons au château, mes amis, demain nous essaierons encore.

Ah ! Dieu m’afflige, mes enfants, Dieu m’afflige ! Et deux larmes roulèrent sur ses joues.

On s’en retourna un peu plus vite qu’on n’était venu ; et, sur les trois heures du matin, tout le parti reposait au château, à l’exception de Maximus, qui se promenait d’un pas fiévreux dans sa bibliothèque en songeant au coup terrible qui venait de le frapper d’une manière si imprévue.

Le lendemain, ou plutôt le même jour, dans la matinée Maximus se préparait à se rendre à la ville pour requérir l’assistance des autorités, pendant que des groupes occupaient déjà les bois d’alentour, et cherchaient la trace des ravisseurs.

Il allait franchir le marchepied de sa voiture quand Laurens arriva comme un ouragan, au triple galop de son cheval, et sauta sur le sable de l’allée.

— C’est donc vrai ? mon Dieu, cria-t-il, je viens d’apprendre la nouvelle au moment de mon départ.

Maximus le regarda d’un air singulier.

— Oui, dit-il, c’est vrai, et j’espère que nous démasquerons les coupables ou le coupable, car je m’en vais de ce pas prévenir la justice.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! Quelle affliction ! quel coup épouvantable ! Et moi qui l’ai laissée si gaie avant-hier ! Ah ! Maintenant, je ne pars plus. Il faut que nous la retrouvions. Si vous voulez me le permettre je vous accompagnerai.

Allons d’abord prévenir la justice.

— Merci, dit Maximus, que la douleur franche du jeune homme touchait profondément, merci monsieur : dans le malheur où je suis, je ne puis pas avoir trop d’assistance. Laissez reposer votre cheval ici, vous prendrez place avec moi.

Gustave sauta sur le siége et le cocher partit à fond de train vers la ville.

Le même jour et vers la même heure à quelques arpents du Pic Bleu, Luron et Beppo fumaient tranquillement leurs pipes, assis sur le tronc d’un hêtre renversé.

— Comme ça, maître André, tou as vou la petite cematin ?

— Tiens ! c’te demande !

— Et elle est réveillée ?

— Réveillée ? Plus réveillée ? que toi marquis ; seulement elle a un grand tort, elle ne veut pas rester avec nous.

Per Dio ! Elle est fière, celle-là ; la chambre d’honneur !

— Il paraît qu’elle est encore mieux logée chez son oncle.

— II est riche, le bonhomme — Oui ! et il paiera gros !

— Hum ! On ne sait pas.

— Comment ! S’il ne veut pas, nous saccagerons sa maison. Je me charge de la cave ; quelles bonnes bouteilles il doit y avoir.

Et le Napolitain se passa la langue sur les lèvres.

— Dans tous les cas, Marquis, nous n’avons rien à voir là-dedans, c’est l’affaire du chef.

— Oui, oui, l’affaire dou chef ; il me semble que nous faisons depuis longtemps l’affaire dou chef, sans que le chef fasse la nôtre.

— Que veux tu, marquis ? l’homme est un dé ; s’il tombe sur le six, il marque un, s’il tombe sur l’un, il marque six.

— C’est ça nous sommes tombés sur le six ; c’est évident ; toujours…

À ce moment, une main pesante se posa sur l’épaule du marquis. Il fit un soubresaut et tous les deux se retournèrent ; Pétrini était derrière eux.

— Nous sommes perdus, se dirent mentalement les deux aventuriers.

Cependant la figure du chef n’exprimait pas la colère ; au contraire, il était souriant, ce qui était assez rare quand il faisait face à ses subordonnés.

— Comme cela, mes gaillards, vous vous la passez assez douce, à ce qu’il me semble !

Le marquis avait déjà fait disparaître sa pipe, par prudence autant que par respect.

— Nous nous reposions oune peu ; la nouit a été doure, dit-il.

— Oui, oui ; je sais, dit Pétrini ; mais cela ira mieux, dans quelque temps ; j’espère que les beaux jours reviendront, ayez confiance. Je suis un peu pressé pour le moment, mais vous aurez du neuf avant peu.

Sur ces mots, il s’élança à travers les branches dans la direction du Pic Bleu, laissant les deux hommes dans le plus profond étonnement ; car ils n’étaient pas habitués à ces familiarités de la part de leur chef.


Ernestine était assise dans sa grotte, ou plutôt couchée sur un banc à bras recouvert en velours rouge.

Depuis le point du jour, elle n’avait pas changé de position et s’était refusée de répondre à toutes les questions de la vieille Zégine.

Elle paraissait plongée dans un abattement profond.