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ALBUM DE LA MINERVE.

qu’un signal aigu se fit entendre de l’extérieur. Pierre fit disparaître la bouteille et s’élança dans le couloir.

Cinq minutes après, la tête fuyante de Gilles Peyron se montrait dans l’entrée.

— Est-ce fait ? dit-il, en s’adressant aux deux compagnons.

— La petite est là qui dort, dit le marquis, en montrant la chambre de réserve, et elle dort bien. Gilles alla s’assurer de la chose, après quoi il revint, et sans s’asseoir :

— C’est bien, dit-il, il faut que je me sauve de suite ; nous sommes à faire une recherche dans les bois du domaine, et mon absence trop longue pourrait être remarquée.

Demain midi, vous viendrez prendre mes ordres à la ferme. En attendant, ne sortez pas d’ici, et vous, marquis, ne vous grisez pas surtout.

— Oh ! qué non ! qué non !…

Gilles n’attendit pas la fin, et disparut derrière le coude du goulot, qui servait d’entrée.

Cinq minutes après, Pierre, André et le marquis ronflaient près du feu, à côté de la bouteille vide.

CHAPITRE XVI.

En arrivant au château, Chagru n’avait pas pu longtemps cacher l’affreuse nouvelle. Toute la maison fut jetée dans un émoi impossible à décrire.

Maximus se promenait à grand pas, l’œil en feu et la bouche contractée ; Gilles Peyron s’arrachait les cheveux, et Pétrini, qui se trouvait là par hasard, semblait frappé de stupeur pendant que Céleste poussait des cris comme le ciel dut en entendre des derniers survivants du déluge.

— Tout-à-coup, Pétrini se leva comme poussé par un ressort et marcha droit vers Maximus.

— Il n’est pas question de se lamenter, dit-il, il faut agir, et agir vite. Du temps qu’il fait les brigands qui ont osé porter la main sur Mlle Ernestine ne peuvent pas aller loin. Ils ne supposeront pas d’ailleurs que nous allons les relancer ce soir et nous les prendrons peut-être à l’improviste.

Maximus se retourna vers le jeune italien et lui saisit vivement les mains.

— Brave enfant, va ! dit-il, Dieu te récompensera et je serai fier de te nommer mon fils.

En moins de cinq minutes, tout le personnel du château avait été réuni autour de Maximus, de Pétrini et de Gilles Peyron, neuf personnes en tout, bien armées et protégées contre la pluie par d’amples manteaux.

Les chevaux furent amenés et l’on se mit promptement en selle.

Au moment du départ, Duroquois arriva comme une bombe au milieu de la petite troupe.

— J’apprends à l’instant le malheur, dit-il tout essoufflé à Maximus, et je viens vous aider. Ah ! les brigands ! Nous les tuerons, fussent-ils le diable en personne ! suffit !

Maximus lui serra la main en silence et fit amener une monture, c’était celle d’Ernestine.

Duroquois se campa sur ses étriers en marmottant des menaces.

— En route maintenant, cria Pétrini, il n’y a pas une minute à perdre.

La petite troupe s’ébranla et partit au galop à la suite du père Chagru qui courait à l’avant-garde avec François, le garçon de ferme.

Les deux vieux marins se tenaient à la crinière pendant que les chevaux, fouettés par une pluie battante, bondissaient avec une rapidité vertigineuse à travers champs et fossés.

— Quel tangage ! mon vieux, râlait Chagru entre deux bonds ; on se croirait sur un ras de marée, quoi ! Avec ça, un clapotis que le cœur m’en fait mal !

François mâchonnait sa chique sans pouvoir parler et se tenait ferme à la crinière.

Au bout d’un quart d’heure, on arriva à la clairière où toute la trouve fit halte, et où on laissa les chevaux.

Giacomo qui avait pris le commandement, divisa ses dix hommes par groupes de deux.

Il se fit indiquer par Chagru la direction qu’avait prise les ravisseurs d’Ernestine, et il fut décidé que chaque groupe marcherait dans cette direction, sur des lignes parallèles, à une distance de cent pas, en ayant soin de se tenir toujours à portée de voix.

Pétrini se trouvait avec Maximus qui portait une lanterne sourde ; à leur gauche étaient François et Chagru, tandis que le groupe de droite était composé de Duroquois et de Gilles Peyron. Les deux autres groupes formaient chacun l’extrême côté.

Dans cet ordre, ils entrèrent sous le couvert en faisant le moins de bruit possible.

À chaque instant, Maximus et Pétrini s’arrêtaient pour écouter et s’orienter le mieux qu’ils le pouvaient dans l’ombre, et s’aidant des rayons blafards de la lanterne sourde.

Au bout d’une demi-heure, ils n’avaient encore fait qu’un mille environ.

Pétrini connaissait parfaitement tous les coins et recoins de cette forêt ; mais il était trop rusé pour faire part de cette circonstance à Maximus ; bien au contraire, à chaque moment, il s’adressait à lui pour savoir s’ils ne s’étaient pas égaré et s’ils sui-