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ALBUM DE LA MINERVE.

Il enleva le marquis sur ses épaules ; Pierre prit sa lanterne sourde et éclaira la marche.

Les deux hommes s’avancèrent sur une saillie étroite qui longeait le Pic l’espace d’une dizaine de pieds. Au bout de cette saillie était la fissure dont nous avons déjà parlé.

Pierre se glissa comme une couleuvre sous la tête du sapin et disparut. André eut un peu plus de peine à passer, à cause de Beppo qu’il lui fallut tirer après lui.

Les deux hommes se trouvèrent alors dans un couloir étroit et humide qui descendait par une pente assez raide à l’intérieur du Pic jusqu’au niveau du plateau ou Beppo s’était endormi. Des marches grossièrement taillées dans le roc vif formaient un escalier sinueux et évidemment destiné à tromper le pied d’une personne étrangère aux lieux, qui s’y serait aventurée sans guide ou sans lumière.

Ce couloir était, même en plein jour, complétement noir. La fissure du haut qui y donnait accès, s’ouvrait à angle droit sur son côté et était d’ailleurs obscurcie par les mousses et les broussailles qui la cachaient. Immédiatement à l’intérieur de cette fissure un énorme trou avait été pratiqué dans le flanc du rocher. On y avait adapté une grosse pierre fixée par des gonds en fer et tournant sur elle-même ; lorsque la pierre était dans sa case la fissure ou porte se trouvait ouverte. Pour la fermer on n’avait qu’à pousser la pierre qui venait boucher complétement l’ouverture, lui donnant à l’extérieur l’aspect d’une niche que la nature aurait ménagée dans le rocher. Un énorme verrou à l’intérieur retenait la pierre en cas de surprises.

Le couloir comme nous venons de le dire descendait par une pente raide jusqu’au niveau du premier plateau extérieur. À cet endroit, il tournait brusquement et courait en sinuosités irrégulières l’espace de cent verges, pour aller aboutir à une grotte immense dont les murailles et le plafond tapissés de stalactites s’illuminaient de mille reflets sous les rayons des torches de résine brûlant aux quatre coins.

Cette grotte était l’antichambre, et André y déposa le marquis sur le sable fin qui en formait le plancher.

Au fond, un goulot étroit donnait accès à une série de trois autres cavernes de moindres dimensions et dont la disposition singulière semblait un jeu de la nature.

Deux de ces cavernes, les plus rapprochées, étaient remplies de toutes espèces d’instruments d’orfèvrerie, de creusets, de moules et de fourneaux portatifs.

Dans un coin gisaient par terre deux marteaux géants.

Aux murailles étaient appendues un grand nombre d’armes de diverses sortes formant un arsenal complet. Ces deux chambres recevaient un peu de lumière par une fissure qui prenait jour au milieu de pics inaccessibles à une élévation de près de cinquante pieds. L’endroit où débouchait cette fissure par le bas, était la cuisine et le fourneau commun de l’établissement.

La quatrième grotte était un peu plus éloignée d’une dizaine de pas. Elle était ornée de quelques meubles ; trois chaises, une table et un assez bon lit. Des nattes et des peaux de bêtes en couvraient le sol. Dans un coin que formait l’enfoncement du roc une petite source d’eau claire jaillissait pour aller se perdre goutte à goutte au fond d’une ouverture qui formait une seconde issue à la caverne, au versant opposé de la montagne et sur une série de rocs perpendiculaires d’une hauteur à donner le vertige.

Au dehors, cette source s’échappait de rocher en rocher, s’alimentant d’autres sources sans-doute, pour retomber jusque dans le vallon où elle formait un ruisseau qui courait sous les bois.

Cette chambre était réservée au chef : l’entrée en était fermée par un rideau que personne ne devait franchir sans y être appelé.

Transportons-nous maintenant à cinq années en arrière. Un soir d’été, dans cette même grotte, un beau jeune homme était nonchalamment étendu sur le lit qui régnait dans l’angle, fumant un havane pur et lisant avec attention à la clarté de deux bougies de cire fixées dans un candélabre en argent massif.

Dans les cavernes voisines, on entendait le bruit des soufflets et des marteaux mis en action par une quinzaine d’individus travaillant au milieu du silence le plus complet. À travers le rideau on distinguait de temps à autre l’éclat subit de la flamme qui s’échappait d’un fourneau ou le reflet fauve produit par le contact d’un acide avec le métal en fusion.

Pétrini, car le beau jeune homme n’était autre que le médecin que nous connaissons, lisait sans se laisser distraire et prenait des notes chiffrées sur un calepin ; d’instant en instant, toute fois, son sourcil se fronçait et une expression de dépit venait mourir sur ses lèvres.

Tout-à-coup, le rideau s’agita d’une manière particulière.