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ALBUM DE LA MINERVE.

— À la première occasion leur ai-je dit, mettez-lui une balle dans la tête et que ce soit fini.

Or avant-hier dans la nuit, Landau est encore venu rôder aux alentours. Ils l’ont poursuivi et André a tiré sur lui à dix pas.

— Alors il est fini.

— Point. La nuit était noire, et Landau n’a été que blessé ! Lorsque Beppo a mis le feu à sa poudre pour voir ce qui en était, ils ont aperçu sur la route un officier debout près de son cheval et braquant sur eux les canons d’un pistolet à deux coups.

— Diable ! diable ; ont-ils pu savoir au moins qui était cet officier ?

— Non. Beppo selon sa louable habitude était ivre et s’est sauvé. Luron a craint une embuscade et l’a suivi,

— Les lâches ! murmura Pétrini ; ils me la paieront !

— Mon cher maître, il ne faut pas le prendre de trop haut avec ces gens-là pour le moment ; rentrez plutôt votre colère. Quand on paie peu, il ne faut pas s’attendre à un dévouement sans bornes ; et vous savez que, depuis quelques années, les compagnons n’ont pas reçu grand’chose. Cependant écoutez la fin de ce que je voulais vous dire.

Un fait certain, c’est que Jacques Landau n’est pas mort ; il a été vu à la ville aujourd’hui ; il est même entré à l’hôtel Français où loge Gustave Laurens.

— Alors je n’ai plus de doute ; c’est Laurens que nos hommes ont vu sur le chemin.

— J’allais vous dire lu même chose. Et je me trompe fort ou Landau a fait des révélations. Vous savez que des six qui ont subi leur procès et fait leur temps de prison, il est le seul survivant. Il n’a rien à craindre de la justice puisqu’il ne peut pas être poursuivi deux fois pour la même offense. Ce Laurens est riche, il doit l’avoir acheté.

— Malédiction ! dit Pétrini en se levant brusquement, dans ce cas nous sommes perdus !

— Pas encore, dit Gilles, mais cela viendra certainement si nous n’y prenons pas garde.

D’abord ce Gustave Laurens est votre rival. En se servant contre vous des révélations que Landau a pu lui faire, si toutefois cela est, il se mettrait dans une mauvaise position vis-à-vis d’Ernestine qui naturellement trouverait cette manière de vous vaincre, peu chevaleresque ; et les femmes apprécient parfaitement ces choses-là. Laurens hésitera donc avant de parler ; et pendant ce temps-là, nous pourrons faire bien des choses.

Mais, à tout évènement, supposons qu’il parle. Notre brave châtelain nous estime trop pour le croire du premier coup. Vous aurez même vis-à-vis de la jeune fille une petite physionomie de martyr qui ne vous fera pas de mal et vous établira davantage dans ses affections. Les femmes adorent un homme qu’elles croient pouvoir consoler.

Voilà les deux alternatives probables qui se présentent à nous. Si par malheur la chose allait plus loin ; eh ! bien, pour lors, j’ai mon petit plan qui, je l’espère, nous réussira.

Dans tous les cas, la première fois que Laurens viendra, nous verrons bien s’il sait quelque chose et s’il a l’intention de s’en servir contre nous.

Cette conversation avait lieu au fond du jardin de Mont-Rouge.

Au moment où Gilles achevait de parler, Maximus arrivait.

— Ah ! ça, dit-il, que faites-vous donc là tous les deux depuis tantôt ? Vous avez l’air de deux conspirateurs.

— Figurez-vous dit Gilles que nous avions une discussion dans laquelle vous étiez concerné. Le Docteur prétend qu’un homme de vos moyens devrait passer ses hivers en ville, et j’avoue qu’il m’a presque converti à son opinion.

— Certainement dit Giacomo, je ne conçois pas qu’un homme distingué comme monsieur de Mont-Rouge, se condamne à une solitude aussi complète et prive ses compatriotes du bénéfice de ses vastes connaissances.

— Hum ! hum ! murmura Maximus, très-flatté au fond, on ne sait pas ce qui peut arriver. Mais vous n’êtes que des enfants et vous faites des châteaux en l’air ; figurez-vous donc un bonhomme comme moi dans vos salons de la cité !

— Il me semble que vous n’y seriez pas déplacé, dit Giacomo.

— Et que vous en éclipseriez bien d’autres, continua Gilles Peyron.

— Flatteurs va, sourit Maximus dont la figure s’était épanouie, vous voulez me faire faire des folies, mais vous n’y gagnerez rien.

Allons, continua-t-il, la voiture m’attend, je vais en ville avec ces dames ; Docteur, je compte sur vous ce soir pour mon bésigue.

Le bonhomme s’éloigna en trottinant par petits bonds joyeux.

Quand il fut parti, Giacomo sortit par la petite porte du jardin et descendit vers les foulons, après avoir promis à Gilles de surveiller les démarches de Gustave Laurens.

Le même soir sur les huit heures, Maximus faisait sa partie avec Giacomo Pétrini ; Gilles conversait avec Céleste pendant qu’Ernestine rêvait à son