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ALBUM DE LA MINERVE.

tomberait sur la route avant d’avoir fait le quart du chemin. Tiens, j’ai une idée !

— Faisons mieux, poursuivit-il tout haut. Si vous pouvez vous tenir en selle, je vais vous mettre sur mon cheval et vous vous rendrez ainsi : je marcherai à côté.

Landau se récria et ne voulut point accepter, mais Gustave l’enleva dans ses bras et le posa sur la selle.

— Tenez-vous bien au pommeau dit-il et ne vous inquiétez pas de moi.

Par mesure de prudence, il retira les pistolets des fontes et les passa à sa ceinture.

— En route, maintenant dit-il et tâchez de ne pas tomber.

Le cheval partit au pas, pendant que Gustave cheminait à ses côtés.

— Comment vous trouvez-vous maintenant, dit-il à Landau au bout d’un quart d’heure de marche ?

— Je suis mieux, répondit celui-ci, le grand air me fait du bien.

Ils continuèrent leur route sans parler et au bout d’une demi-heure ils s’arrêtèrent devant une petite maison de chétive apparence sur la rue du Roi.

— C’est ici que je demeure dit Landau, et si vous voulez m’aider à descendre, vous serez enfin débarrassé de moi.

Gustave le mit à terre. Landau s’avança pour ouvrir la porte, mais ses forces le trahirent il trébucha et tomba lourdement sur le seuil.

Au même instant la porte s’entrebâilla et une vieille femme avança sa figure de l’intérieur.

— Mon Dieu ! mais c’est Jacques cria-t-elle. Hélas ! Seigneur qu’est-il donc arrivé !

La vieille se précipita vers Landau en pleurant, puis aidée de Gustave elle le releva et tous deux le soutinrent jusque dans la maison où ils l’assirent dans une grande chaise berçante.

— Mère, dit Landau, remerciez ce monsieur, car il vient de me sauver la vie.

— Hélas ! Seigneur Jésus, fit la vielle, vous êtes le Bon Dieu en personne : et mon pauvre garçon qui est tout plein de sang. Comment donc qu’ils t’ont tué mon Jacques ?…

— Je vous conterai ça tout à l’heure, la mère, interrompit Landau ; si vous voulez nous laisser seuls un instant, il faut que je parle à ce monsieur-là.

— Seigneur ! c’est terrible tout de même, et je vais te faire un bouillon, dit la vieille en sortant par une porte dans la cloison.

— À présent continua Landau, je suis content d’avoir accepté votre offre car je vais pouvoir m’acquitter envers vous. Vous êtes Monsieur Gustave Laurens.

— C’est bien mon nom dit Gustave, en regardant Landau d’un air surpris ; mais d’où savez-vous…

— Je viens de vous reconnaître en vous voyant à la lumière. Je suis trop mal pour vous expliquer tout ça ce soir, mais si vous voulez me donner votre adresse, demain, si je suis assez fort, j’irai avec votre permission, vous prouver que je sais reconnaître un service.

— Vous piquez ma curiosité, dit Gustave que la tournure de cette affaire intéressait malgré lui. Voici mon adresse, quand vous voudrez venir, je suis toujours à l’hôtel entre quatre et six heures de l’après-midi. Je vous laisse avec votre mère et soignez votre blessure.

Gustave lui dit bonsoir, enfourcha son cheval et revint à son hôtel curieux en lui-même de ce que cet inconnu pouvait avoir à lui dire.

Le lendemain, Landau ne vint pas. Le jour suivant, vers les quatre heures de l’après-midi, Gustave commençait à croire que son homme l’avait trompé et il ne pouvait s’empêcher d’en éprouver une espèce de dépit lorsqu’il vit arriver à sa chambre, conduit par un garçon, maître Landau en personne.

— Je n’ai pas pu venir hier, dit ce dernier, je n’étais pas assez fort et la mère n’a pas voulu me laisser sortir. Maintenant je suis mieux et me voilà.

— Voyons, asseyez-vous un peu, dit Gustave, et reposez-vous ; vous paraissez encore très-faible.

— Oh ! ma blessure va beaucoup mieux ! et, si je n’avais pas perdu tant de sang… mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit, je vous ai promis de reconnaître ce que vous avez fait pour moi et si vous le permettez je vous dirai de suite ce que j’ai à vous communiquer.

— Voyons, je vous écoute, parlez.

— Avant de commencer, je vous demande de ne pas me prendre pour un délateur ou un homme qui désire seulement se venger ; et ce que je vais vous dévoiler, je vous prie de vous en servir plutôt pour votre profit que pour la perte des autres.

Voici la chose.

Vous avez peut-être entendu parler, il y a cinq ou six ans, d’une quantité extraordinaire de pièces de monnaie fausses qui ont été répandues dans toute la province.

En effet, je me rappelle qu’on en a beaucoup parlé dans le temps.

— Bien ; mais ce que vous ignoriez peut-être c’est que cette monnaie provenait d’une société puissante et bien organisée qui avait son siége principal dans la paroisse du Cap Rouge, à une distance peu considérable du château de Monsieur Maximus Cré-