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ALBUM DE LA MINERVE.

Gustave était immobile à dix pas d’eux, effacé derrière un bouquet d’aubépine et entendait toute cette conversation.

— Attends, mon bon, disait-il en caressant la crosse de son pistolet, nous allons peut-être avoir de la besogne.

Pendant qu’il faisait cette réflexion, il se sentit tirer par le pan de son habit, et se retourna vivement, prêt à faire feu.

— Pour l’amour de Dieu ! murmura une voix tremblante à ses pieds, sauvez-moi ! ils vont m’achever.

— Gustave saisit la main qui tenait son habit et se pencha vers l’homme tout en se tenant sur la défensive.

— Qui êtes-vous ? dit-il tout bas mais rapidement, et de qui voulez-vous que je vous sauve ?

— C’est sur moi qu’on vient de tirer répondit l’homme, je suis blessé à l’épaule.

— Alors tâchez de vous cacher dans le fossé et ne craignez rien. Combien sont-ils ?

— Deux seulement, mais l’un des deux André Luron vaut trois hommes : l’autre se sauvera au premier danger : Ah ! si j’avais un pistolet !

Laurens avait deux pistolets dans les fontes de sa selle ; mais il se souciait peu de confier ainsi cette arme à un inconnu, qui après tout pouvait bien jouer un rôle pour se trouver ensuite contre lui.

— Tenez-vous en paix, dit-il ; je me change de tout, mais gare aux trahisons : au premier mouvement je vous tue comme un chien.

Le blessé se roula sans bruit dans le fossé et se mit à étancher avec son mouchoir le sang qu’il perdait en abondance.

Toute cette conversation n’avait rempli que quelques instants.

Pendant ce temps le napolitain avait prestement roulé dans sa main un cône de poudre humectée de salive ; il plaça cette préparation sur un éclat de bois qu’il ramassa, battit son briquet et y mit le feu. À la lueur qui se fit les deux aventuriers aperçurent Gustave debout au milieu de la route tenant d’une main les rênes de son cheval et de l’autre un long pistolet à deux coups dont les gueules menaçantes étaient dirigées de leur côté.

Accidente ! cria le napolitain en se jetant prestement à plat ventre, oune militaire, fouyons !

— Que cherchez-vous et que voulez-vous, cria Gustave en s’avançant vers eux ;

— André comprit qu’il fallait user de prudence ; car le napolitain ne comptait plus, et il sentait qu’il se trouvait en présence d’un homme déterminé — ces bandits ont un coup d’œil sûr dans l’occasion, et le flair des bêtes fauves.

— Mon officier, dit-il, en faisant le salut militaire, je viens de tirer une bête sauvage, tout près d’ici, et nous pensions qu’elle était tombée dans cette direction.

— Si c’est cela, dit Gustave, votre bête sauvage n’est pas tout-à-fait morte, car je viens de la voir se sauver sur la route vers la campagne, et si je puis vous donner un bon conseil, c’est celui de la suivre au plus vite.

— Certainement, certainement, mon officier ; nous la trouverons tombée quelque part sur le chemin ; car je vise juste.

— Le napolitain n’avait pas attendu la réponse de son compagnon. Aux derniers mots de Gustave il était déjà sur la route et se sauvait à toutes jambes dans la direction du Cap-Rouge.

— André enjamba le fossé et partit en courant dans la même direction.

Au bout de trente pas, ils se perdirent dans l’obscurité ; mais Laurens entendit pendant plusieurs minutes sur la route le son de leurs souliers ferrés qui allait s’éteignant dans le lointain.

Quand il jugea qu’ils étaient à une distance suffisante, il revint vers l’endroit où était le blessé et l’appela. Il ne reçut pas de réponse. En se baissant il s’aperçut que l’homme s’était évanoui.

Le temps s’était un peu éclairci et les étoiles commençaient à faire rayonner dans l’espace leurs clartés blanchâtres.

Gustave chercha l’endroit par où le sang s’échappait et le banda fortement avec son mouchoir. Le blessé fit entendre un petit cri de douleur, et ouvrit les yeux.

— Merci, dit-il, en recouvrant ses sens, vous m’avez sauvé la vie.

Ce n’est pas la peine, dit Gustave, et j’ai travaillé autant pour moi-même que pour vous. Mais, d’abord quel est votre nom ?

— Je m’appelle Landau.

— Vous sentez vous assez fort pour marcher !

— Je crois qu’oui ; je vais toujours tâcher, Landau se souleva difficilement, mais réussit cependant à se tenir debout et à faire quelques pas.

— Vous n’êtes pas assez fort pour vous rendre chez vous, dit Gustave, surtout si vous demeurez loin d’ici.

— Je demeure au faubourg St. Roch, et ce n’est pas proche, mais je crois que je pourrai m’y rendre, en me reposant un peu de temps en temps.

Laurens avait le cœur bon, il fut touché de l’espèce de résignation triste avec laquelle cet homme parlait.

— Je ne puis pas le laisser aller ainsi se dit-il, il