Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/48

Cette page a été validée par deux contributeurs.
612
ALBUM DE LA MINERVE.

Gustave parlait tranquillement, sans forfanterie, mais avec conviction.

Duroquois continuait d’approuver par monosyllabes.

Maximus, furieux au fond, laissait errer sur sa figure un sourire forcé.

Gilles Peyron jouissait d’un petit contentement intérieur impossible à décrire.

La discussion allait recommencer sur une remarque un peu aigre de Maximus, lorsque des éclats de voix joyeuses dans le corridor annoncèrent la rentrée de Pétrini avec les dames.

Le docteur paraissait d’une humeur charmante, ce qui conjura l’orage et remit les discutants plus à l’aise.

Cependant Maximus gardait rancune à Laurens qui, de son côté, n’était pas satisfait de s’être vu traité si cavalièrement. Toutefois comme il aimait Ernestine et que l’amour passe sur bien des choses, surtout vis-à vis des tuteurs grincheux, il triompha complètement d’un reste de mauvaise humeur et fut parfaitement aimable.

La seule chose qui l’inquiétait était l’espèce de familiarité qu’il remarquait entre Pétrini et la jeune fille.

On peut pardonner à un tuteur, mais il est rare qu’on excuse un rival.

Pendant la soirée, Maximus demanda de la musique et Ernestine joua quelques morceaux.

Dans ce temps-là, les jeunes filles ne jouaient pas du Talberg ou du Leybach.

Ces compositions, aussi belles sous une main de maître qu’elles sont ridicules sous le poignet de la plupart des pianoteuses de nos jours, étaient profondément ignorées.

Bethoven était l’auteur favori. Le piano était moins brillant, mais plus apprécié parce qu’on le jouait mieux.

Ernestine avait une âme d’artiste. On l’écouta religieusement.

Gustave et Pétrini accoudés aux deux extrémités du piano rêvaient sous le charme de ces douces mélodies que la jeune fille faisait pleurer dans son instrument.

Céleste seule, peu sensible à l’harmonie, de sa grosse voix rude faisait des remontrances à Duroquois sur l’impertinence des hommes qui écoutent une petite fille au piano plutôt que de causer avec une femme spirituelle assise à leur côté.

Hélas ! il y a toujours eu et il y aura toujours des Céleste !

Lorsqu’Ernestine eut cessé de jouer, Gustave la remercia avec des éloges peut-être un peu trop accentués pour n’être pas banals.

Que voulez-vous, il est plus difficile de louer bien que de blâmer.

Pétrini ne dit rien ; mais il mit la main sur son cœur et ses yeux exprimèrent une reconnaissance infinie.

C’était un peu théâtral : mais ces choses-là, pourvu qu’elles ne soient pas par trop ridicules, ont toujours un grand succès auprès des femmes. La femme est composée d’instincts et de sentiments. Le langage qui parle à ses yeux est toujours celui qu’elle préfère. Elle se courrouce lorsque vous lui dites une chose qui l’aurait ravie si vous vous étiez contenté de la lui faire comprendre ou de la lui laisser deviner.

C’est arriver au même but que nous par une voie moins compromettante. Et, puisque ce mot est écrit, une femme aime autant qu’on se compromette pour elle qu’elle désire peu se voir compromise pour les autres.

C’est juste puisque c’est dans la nature.

Ernestine fut froide aux compliments de Gustave ; mais le geste de Pétrini la troubla profondément.

Le jeune officier ne fut pas sans s’apercevoir de la faute qu’il avait commise.

Il essaya de la faire oublier. Mais, comme il arrive presque toujours dans ces occasions, au lieu de se relever il ne fit que s’embarrasser davantage et finit par être tout-à-fait ridicule.

Bref, le succès de la soirée fut pour Giacomo qui se retira plein d’espoir et faisant des rêves dorés pour l’avenir.

Quant à Gustave, il reprit tristement le chemin de sa demeure où il arriva brisé et découragé.

Comme il venait de s’accouder à la fenêtre de sa chambre pour tâcher de distraire les pensées qui le tourmentaient, un garçon frappa à la porte de sa chambre.

— Voici une lettre dit-il en entrant qu’on a apporté pendant votre absence, mon officier. Le porteur m’a bien recommandé de ne la remettre qu’à vous en propre, ajoutant que c’était pressé.

En même temps il présenta un papier à l’adresse de Laurens et se retira discrètement.

Gustave rompit le cachet et demeura frappé d’étonnement à lecture de ce qui suit, contenu dans une grosse écriture presqu’illisible constellée de fautes d’orthographe :

« Monsieur,

« Le Docteur Pétrini est un coquin qui a fait un complot pour avoir la fortune de Melle Moulins, en la l’épousant, et partager son argent avec Gilles