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ALBUM DE LA MINERVE.

— Admirable idée ! mon ami, dit-il, admirable idée ! quel homme vous êtes ! quel homme ! quel homme !

Ernestine partageait l’agréable surprise causée à son oncle. Seule, Melle Céleste sentit un peu de vinaigre mêlé à sa joie : elle ne dit rien, mais elle pensa, à part elle, que deux bons violons, une clarinette et une contre-basse auraient coûté moins cher, auraient fait moins de tapage que ces gros instruments et peut-être donné de meilleure musique.

Après tout le violon criard et la clarinette nasillarde peuvent avoir leurs charmes pour certaines oreilles.

À huit heures Maximus prit sa montre et commença à prêter l’oreille ; mais ce fut seulement vers neuf heures que les premiers invités firent leur apparition. On entendait par tout le corridor ces chuchotements étouffés, ce bruissement des soieries emmaillotées qui font frémir le cœur du maître de maison.

Maximus, tout gonflé, distribuait des saluts de droite à gauche, et jetait des petits bonjours agréables parmi les arrivants. Il était fort convenablement habillé de noir. Seulement, sur la basque gauche de son habit, s’étalait une grande médaille en or retenue par un ruban marron long de six pouces. Il avait obtenu cette médaille au concours d’agriculture l’année précédente, comme premier prix pour un jeune bœuf de deux ans.

— Je l’ai gagnée, disait-il ; je ne vois pas pourquoi je l’enfouirais au fond d’un tiroir.

— C’est cela, avait dit Gilles ; l’agriculture étant la plus noble profession des hommes, je ne vois pas pourquoi les lauriers conquis dans ses rangs ne seraient pas montrés avec honneur !

Il avait dit cela la main appuyé sur le cœur et l’œil au plafond. Maximus, après cela, serait mort, plutôt que de ne pas mettre sa médaille.

En haut, Céleste recevait les dames. Elle portait, ce soir-là, une robe montante en soie à fond jaune ramagée de fleurs rouges et noires et garnie de dentelles aussi nombreuses que les cordages d’un navire à trois ponts. Sur la tête, le col et les bras, de l’or, des perles, des diamants jetés à profusion et pêle-mêle : une véritable vitrine de bijoutier. Ses grandes mains étaient à l’étroit dans une paire de gants dont les doigts rebelles ne lui montaient qu’à la seconde phalange. Maximus trouvait cette toilette supérieurement riche : Gilles la proclamait tout simplement divine.

Enfin, à dix heures, les fanfares éclatèrent dans la grande salle : il y eut un frémissement dans l’assemblée quand Maximus, rouge de plaisir, ouvrit la danse avec la femme d’un lieutenant colonel.

Le premier quadrille se dansa comme tous les quadrilles : on s’amusait partout ; les éclats de rire étouffés derrière les éventails, les regards qui se croisaient, les plaisanteries fines, tout cela avait un cachet qui reflétait cette bonne vieille et franche gaieté gauloise que cultivaient nos ancêtres et que leurs neveux commencent à oublier.

La dernière mesure du quadrille venait de se faire entendre ; Maximus circulait parmi les danseurs, décochant des sourires aux dames et donnant de grandes poignées de main à ceux de ses invités qu’il n’avait jamais vus. Il était heureux, cet excellent Maximus et se disait : — Tout ce monde jouit, tout ce monde s’amuse et c’est moi seul qui suis la cause de cette gaieté, de ce bonheur.

Gilles se multipliait ; il allait, venait, voyait à tout ; on l’apercevait en même temps parlant bas au chef d’orchestre et faisant des signaux mystérieux aux domestiques. C’était la personnification de l’employé plein de zèle, de l’administrateur vigilant.

Ernestine était mise avec une distinction parfaite ; une simple robe blanche faite d’un tissu léger et toute unie, dessinait sa taille qu’entourait une ceinture en ruban bleu. Les cheveux, roulés en énormes tresses derrière la tête, n’avaient pour tout ornement qu’une petite rose blanche au milieu de laquelle un diamant de la plus belle eau faisait l’effet d’une véritable goutte de rosée. Elle ne portait aucun de ces bijoux énormes qui écrasent la jeunesse de nos jours et empêche souvent qu’on ne distingue du premier coup d’œil la mère d’avec la fille. Un cercle d’admirateurs lui faisait cour ; aimable également pour tous, elle avait pour chacun un mot bienveillant, une chose agréable à dire. Parfois son regard plongeait rapide au milieu de la foule des danseurs : une espèce de petite moue d’impatience et presque de dépit passait sur sa lèvre, mais sa physionomie reprenait aussitôt son expression habituelle. Cependant l’heure s’était avancée. La jeune fille avait déjà dansé plusieurs quadrilles et sauté quelques galops. La musique jouait maintenant une de ces adorables valses à trois temps que dansent encore les blondes filles du nord et que nous avons remplacé par cette course sans mesure, furieuse, haletante qui s’appelle de nos jours la valse à deux temps. Les couples tournoyaient souriants et gracieux. Les mamans regrettaient leurs vingt ans et les pères en voulaient à leurs cheveux blancs et à leur embonpoint. Les vieux garçons — il y en a partout et toujours, — songeaient qu’après tout, la vie à