Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.
295
ALBUM DE LA MINERVE.

Sous les robustes frictions de Céleste, le malade était peu à peu revenu à lui-même.

Giacomo lui administra une potion calmante et au bout d’une dizaine de minutes, il parut s’endormir d’un profond sommeil.

Tout le monde se retira discrètement. Maximus et Giacomo retournèrent à la bibliothèque, où ils se mirent à causer en fumant jusqu’à l’heure du dîner. Maximus fut tout étourdi des connaissances du jeune médecin et de la facilité avec laquelle il exprimait ses idées.

— Vous êtes donc né au pays, dit-il, ou vous y êtes venu bien jeune que vous parlez si bien notre langue ?

— J’y suis venu bien jeune en effet ; mais cependant je n’ai pas oublié ma langue maternelle. Je me suis fait au contraire un point d’honneur de l’étudier et de la connaître mieux que toutes les autres.

— Décidément, pensa Maximus, c’est un génie que ce jeune homme.

— Au reste, ajouta Pétrini, je ne me glorifie pas du peu que je sais : l’étude a toujours été un besoin pour moi, et je me suis livré à un plaisir, là où les autres n’accomplissent ordinairement qu’un devoir.

— Et modeste, par dessus le marché, se dit Maximus.

— Monsieur, reprit-il, tout haut, je ne suis pas un homme brillant, mais je suis franc et je dis toujours ce que je pense. Je suis très-heureux de vous avoir rencontré, et j’espère que la guérison de votre ami ne sera pas pour nous le signal d’une séparation.

— Je suis infiniment honoré, monsieur, et je compte bien profiter de votre offre obligeante.

— Voici bientôt, l’heure du dîner, poursuivit Maximus en regardant à sa montre ; Allons trouver ces dames au salon. Je vous présenterai à ma pupille que vous ne connaissez pas encore.

Ils entrèrent tous deux au salon. Maximus présenta le Docteur, et commençait son éloge, lorsque Giacomo l’interrompit.

— De grâce, monsieur, dit-il, n’induisez pas ces dames en erreur ; elles seraient trop désappointées par la suite, si j’ai le plaisir de les rencontrer plus souvent.

Il accompagna ces paroles d’une inclination et d’un sourire vraiment gracieux à l’adresse d’Ernestine, qui ne put s’empêcher de remarquer sa beauté et l’élégance de sa personne.

Après quelques phrases courtoises de part et d’autre, le dîner fut annoncé, et on se mit à table. Pendant tout le repas, Giacomo fut étincelant de verve et pétillant d’esprit. Il eut des mots heureux à l’adresse de Céleste et d’Ernestine et ravit Maximus en discutant ses opinions pour se laisser convaincre ensuite et lui donner le plaisir d’une victoire en apparence chaudement disputée.

Maximus étouffait de bonheur à la pensée qu’il triomphait d’un adversaire de cette force.

Vers la fin du repas, quelques gémissements se firent entendre de la chambre du malade.

Giacomo se leva tout d’un trait.

— Pardon, mesdames, dit-il ; mais le devoir avant les convenances ; le médecin a une consigne comme le soldat ; je suis à vous dans un instant.

Il se dirigea rapidement vers la chambre de Gilles.

Quel dévouement dit Maximus. Ce jeune homme à toutes les qualités.

Au bout d’un instant, Pétrini revint.

— Je vous demande encore pardon mesdames, dit-il, mais j’ai mon excuse dans la gravité des circonstances.

— Vous n’avez pas d’excuses à faire, dit Céleste, et c’est plutôt à nous de vous remercier de votre dévouement, et de vos sacrifices.

— C’est en effet un dur sacrifice mesdames, que d’être obligé de vous quitter, même pour un moment ; mais le devoir devient chez nous une habitude qui triomphe de tout.

Le dîner se termina gaiement et Maximus causa longuement avec Pétrini en faisant sa sieste. Le soir toute la société se retrouva au salon où Giacomo fit de rapides progrès dans l’estime de Céleste et d’Ernestine.

— Vous qui savez tant de choses, dit Maximus, seriez-vous par hasard musicien ?

— Pas beaucoup, dit Pétrini, j’ai si peu de temps à sacrifier aux plaisirs.

— Tiens, je vois que vous allez encore nous surprendre ; voyons, essayez un peu.

— De grâce, monsieur, dit Ernestine en rougissant.

— Oh ! je ne me fais pas prier, dit Pétrini, et d’ailleurs, je n’ai pas d’amour propre.

Il se dirigea vers le piano et chanta d’une voix pleine et douce en même temps, cette belle romance de Niedermeyer intitulée « Le Lac. »

Maximus et Céleste pleuraient, et, quand il vint à chanter ces paroles :

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que tout ce qu’on entend, qu’on voit et qui respire,
Tout dise, ils ont aimé !

Ernestine sentit une émotion subite envahir son âme.