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Chapitre V.


L E lendemain, Gilles courut en toute hâte chez Pétrini.

— Compère, dit-il en entrant, ça marche ; je ne vous dis que ça.

— Tant mieux fit tranquillement Pétrini ; car, je ne vous le cache pas, je commence à m’intéresser à votre plan, et je vous souhaite de réussir.

— On ne pourra pas dire, au moins, que ce souhait-là n’est pas désintéressé, mon cher. Peste ! vous n’êtes pas difficile. J’attrape le merle, je vous le fais cuire, et vous n’avez qu’à le manger ! — On dirait cependant, que la chose ne vous regarde pas !

— Ah ! ça ; honnête homme, vous m’avez proposé une affaire, je l’ai acceptée ; faites votre part, je suis prêt à faire la mienne ; mais pas de reproches. Si la chose ne vous va pas, vous n’avez qu’à parler, je me retire.

Le fait est que depuis la veille, Gilles Peyron avait sérieusement réfléchi. L’accueil de Maximus et de sa sœur l’avait tellement transporté qu’il se disait en lui-même :

— Après tout, je suis bien simple ; je partage entre trois un bénéfice que je pourrais réaliser tout seul. Je ne suis pas si mal, ma foi, que je le croyais. Avec un peu de politique, je pourrais tout à la fois gagner le tuteur, épouser l’héritière et jouir à mon aise d’un splendide revenu. Le père Chagru n’est pas difficile à éloigner ; il ne demande pas mieux que de se démettre. Si je pouvais décourager Pétrini ?

Puisque je n’ai pas donné ma parole, je ne suis pas tenu, en honneur, de me sacrifier pour lui.

— Je n’étais pas venu pour me brouiller avec vous, reprit Gilles avec une joie mal déguisée ; mais enfin, puisque vous voulez vous retirer, je ne puis pas vous forcer de m’aider ; que diable ! je n’enchaîne pas les gens, moi.

— Comme vous voudrez, répondit froidement Pétrini. Il y a seulement cette petite misère que je vous ai avancée l’autre jour, cinquante piastres, si je me rappelle bien ; vous aurez la complaisance de me remettre cela ! Vous savez, d’ailleurs, que je possède certains petits moyens de vous forcer la main, si vous n’étiez pas disposé à vous exécuter de bonne grâce.

Gilles fut mordu au cœur, et changea successivement du jaune au vert. Il n’avait pas du tout réfléchi à ce détail qui le mettait complètement à la merci de Pétrini. Car ce dernier était bien au monde la seule personne qui eût voulu faire la plus légère avance à notre honnête ami. D’ailleurs, la menace de Giacomo voulait dire quelque chose. Il se recomposa prestement la figure et reprit avec un sourire peu contraint :

— Comme vous y allez ! vous, mon cher Giacomo. On voit bien que vous descendez d’une fière race. Vous êtes susceptible comme un marquis ! Vous voyez bien que tout cela n’était qu’un simple badinage. Tenez, dépouillez vos grands airs, et je vais vous rendre un peu compte de ce que j’ai fait ; vous verrez si j’ai songé à vous fausser compagnie.