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« Il y avait là à ses débuts le Paris des grands soirs, c’est-à-dire, l’élite des blasés. Et il lui a fallu émouvoir ces gens difficiles, et c’est, ma foi, ce qu’elle a fait ! On ne lui aurait pas passé une fausse note ; aussi s’est-elle bien gardée d’en donner. »

« Le seul moment où le public lui ait montré de la froideur est celui de son entrée. Et, en effet, comme nous l’avons dit, elle ressemble si peu au portrait publié d’elle, qu’on a cru d’abord à un changement de personne.

« La vérité est que, durant les deux premiers actes de la Somnambule, Melle Albani a obtenu un succès réel, encore qu’ordinaire, et qu’elle ne s’est révélée dans son beau qu’au troisième acte, en chantant cet andante de la scène du sommeil où Bellini a mis tout son génie. Là, elle s’est montrée cantatrice de grand style. Ce n’est pas que sa voix soit d’une qualité rare, car le médium n’en est pas d’un timbre assorti à celui de l’aigu ; ce n’est pas non plus que la cantatrice ait encore acquis toute la souplesse désirable dans les traits vocalisés ; mais sa qualité maîtresse est justement celle qu’on doit priser le plus : elle sent vivement ce qu’elle dit, et elle sait communiquer son émotion à qui l’écoute. Elle a ce magnétisme, cette fascination qui s’appelle l’éloquence chez l’orateur, et qui n’a point de nom encore chez les chanteurs, peut-être à cause de la rareté avec laquelle le phénomène se rencontre. En un mot, et comme on dit dans l’argot des artistes, Melle Albani a « une nature. »

 

« …Toujours est-il que, si nous n’avons pas saisi pleinement l’ensemble de ses qualités et de ses défauts, du moins pouvons-nous dire que ce n’est pas à une cantatrice banale que nous avons affaire. »