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À ces foyers publics, allumés ça et là, autour de ces braséros d’idées, le peuple venait se chauffer et s’instruire. Quelquefois un commissaire de police dispersait les auditeurs et des sergents de ville les faisaient brutalement circuler, mais les idées circulaient avec eux. Ils allaient ranimer ailleurs les braises entretenues et saluaient l’apparition de Lefrançais comme s’il eut porté sous son bras plutôt qu’un riflard, comme dit Vallès, — un soufflet.

C’était dans la vie de l’ancien instituteur l’étape de prédilection. En donnant, chef d’équipe, son coup de pioche retentissant dans l’édifice vermoulu de l’Empire, il avait découvert ce trésor : une conception très nette du véritable danger social : l’exploitation capitaliste. Et tous ses efforts allaient tendre à la supprimer, beaucoup plus qu’à débarrasser la France d’une famille funeste, sans doute, mais pas autant que les familles plus nombreuses qui règnent sur le travail et en accaparent les profits. Un roi, un empereur, ne sont que des accidents ; une caste souveraine est une calamité. On peut réchapper des premiers ; on meurt fatalement de l’autre. Trente ans de république bourgeoise ont vérifié cette observation. Le peuple n’a secoué le joug d’un maître que pour subir la tyrannie de ses soutiens, enracinés dans les administrations, les ateliers, les usines, les banques. Nous n’avons plus le Grand Patron, mais nous avons toujours le patronat. Rien de changé, au fond, qu’une effigie sur la monnaie.

Aussi le toast de Félix Pyat à « la petite balle », fait-il sourire aujourd’hui la génération montante qui boit, elle aussi, à l’indépendance du monde, mais par l’expropriation pure et simple, sans effusion de sang, autant que possible. L’ère des violences, régicide, barricades, grèves à main armée, est close. C’est même la plus grande déception que puissent éprouver les classes dirigeantes, habituées à cimenter les institutions menaçant ruine, avec de la cervelle d’insurgés en guise de mortier.