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Des jeunes filles en blanc, avec écharpes tricolores, escortent le « Char de l’Agriculture », sur lequel figurent quelques malheureux bœufs bien dodus, aux cornes et sabots dorés et dont l’éphémère triomphe se terminera le soir à l’abattoir. Ils représentent, je pense, le peuple souverain. Tel est le trait original de cette fête, aussi banale que les précédentes.

On dit que c’est George Sand et son fils qui ont dessiné cette nouvelle promenade du bœuf gras. Tant pis pour eux. C’est un peu bébête.

Voici bien une autre affaire maintenant ! Nous avons une question Bonaparte.

Grâce à la sentimentale niaiserie de Louis Blanc, les Bonaparte ont été exceptés du décret rendu par le Provisoire, qui maintenait l’expulsion des anciennes familles régnantes. Une vingtaine au moins de Bonaparte font partie de l’Assemblée. Frères, neveux, cousins, arrière-cousins ont surgi de tous côtés. C’est vraiment trop de bonheur pour la République, au soleil de laquelle tout ce monde est venu se « réchauffer ».

L’évadé de Ham, le faux Badinguet, a été nommé dans trois départements. Voilà que la commission exécutive s’avise à cette heure de demander son invalidation. — C’est vraiment tardif. Et puis, en vertu de quoi ? puisqu’on a levé l’interdiction qui pesait sur lui. Aussi de nombreux imbéciles, dirigés par quelques farceurs intéressés, se mettent-ils à crier à l’oppression à hurler le soir sur l’air des lampions : Poléon, nous l’aurons ! — Poléon, nous l’aurons ! À ce refrain stupide, des groupes de républicains, toujours sur le même air, répliquent par le cri : À Vincennes ! à Vincennes !

« Quel ramassis de canailles et d’imbéciles que ces gens du Provisoire ! », murmure entre les dents mon vieux copain, quand nous revenons de ces scènes qui se