Page:Lefrançais - Souvenirs d'un révolutionnaire, 1902.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 32 —

plus de cent mille hommes ayant à leur tête les principaux chefs des clubs, sont venus sommer le gouvernement de prendre enfin une attitude plus révolutionnaire.

S’adressant surtout à l’élément dans lequel le peuple a le plus de confiance : Ledru-Rollin, Flocon, L. Blanc et Albert, les manifestants leur ont proposé de les renforcer de collègues plus énergiques, d’éliminer les Marie, les Arago, les Garnier-Pagès, les Marrast et les Crémieux, qui inspirent de légitimes défiances.

Mais les premiers ont refusé — nous dit-on — dans la crainte d’être débordés à leur tour par ceux qu’on veut leur adjoindre. S’empressant même de profiter des vaniteuses rancunes de Barbès contre Blanqui, ils ont obtenu le désistement de celui-là et ravivé les dissentiments que les séparent. Si bien que les manifestants, discutant au lieu d’imposer, sont revenus bredouille… tout comme ceux de la veille !

iii
17 mars — 4 mai

En somme, la réaction bourgeoise se sent protégée et c’est pour elle le point important.

Déjà, dans son journal La Presse, Émile de Girardin pose hardiment cette question aux républicains :

« Si la Constituante, issue du suffrage universel, considérée par vous comme une manifestation souveraine de la volonté nationale, proclame autre chose que la République, que ferez-vous ? »

Cette question trouble singulièrement ceux qui ont niaisement élevé le suffrage universel à la hauteur d’un principe seul capable d’affirmer le Droit…, et surtout de l’étouffer, ajoutent mentalement les malins, dont Girardin se fait le porte-voix.

J’étais le soir au club du « Salon de Mars » quand la question se posa. Elle fut chaudement discutée. Comme la discussion menaçait de s’éterniser, le président du club, fougueux méridional devenu républicain en vingt-