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Jusqu’alors, grâce à l’impôt du timbre et à l’obligation d’un cautionnement fort élevé, les journaux politiques étaient en très petit nombre. Le Siècle, le Constitutionnel, la Presse, les Débats, le National, la Réforme, la Gazette de France et la Patrie, se partageaient à peu près seuls la clientèle parisienne et encore sous forme d’abonnement.

Seule, autant que je sache, la Patrie, « journal du soir », était vendue au numéro, vers huit heures du soir, à quelques coins de rues, par des crieurs munis d’une lanterne sur les vitres de laquelle se détachait le titre du journal.

Le cri monotone de ces vendeurs stationnaires se confondait souvent au loin avec celui des montreurs de « lanterne magique ».

En quelques jours seulement quels changements !

Partout, tout le jour et bien avant dans la soirée, une armée de crieurs sillonne les rues, offrant les nombreux journaux dont ils jettent aux oreilles, un peu ahuries de cette nouveauté, les titres variés et des plus pittoresques.

« Lisez la République, de Bareste… La Vraie République, de Thoré… Le Lampion, La Bouche de fer, de Villemessant… Le Peuple constituant, de l’abbé de Lamennais ; Lisez la Commune de Paris, de Cahaigue et Sobrier… l’Aimable Faubourien, d’Alfred Delvau… Le Populaire, de Cabet… L’Ami du Peuple, de Raspail… bien d’autres encore dont le nom m’échappe. — Enfin lisez le Représentant du peuple, du citoyen Proudhon — Tous à un sou ! — Au grand dédain et surtout au grand effroi des anciens journaux qui voient rapidement diminuer leur clientèle… et leurs recettes.

De tous les noms des nouveaux journalistes, celui de Proudhon était certainement le moins connu il y a huit jours à peine, sinon des économistes déjà édifiés sur la vigueur et l’originalité de sa polémique.