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banquier Goudchaux, son ministre des finances, sentait à modifier les conditions de l’emprunt de 250 millions souscrit par Rothschild le 10 septembre 1847 en prorogeant les échéances des versements à effectuer. Cette modification faisait bénéficier le pauvre baron de onze millions, alors qu’au contraire le maintien strict du contrat lui en eut fait perdre vingt-cinq. C’était donc un cadeau réel de 36 millions fait à Rothschild par le Provisoire, aux dépens du Trésor, et cela juste au moment où, pour se procurer des ressources, le même gouvernement prétendu républicain allait avoir recours au fameux impôt des quarante-cinq centimes, au risque de compromettre l’existence de la République.[1]

Toute la presse bourgeoise devenue, elle aussi, très républicaine en vingt-quatre heures, ne tarit pas d’éloges sur la sagesse du gouvernement. Elle s’empresse surtout de dénoncer comme « communiste » quiconque, malgré l’admirable discours de Lamartine contre le drapeau rouge, persiste à porter une cocarde de cette couleur à la boutonnière.

Les prêtres aussi commencent à se rassurer. Les habituels mangeurs de curés, devenus gouvernants, on fait enterrer les morts de Février avec tous les Te Deum possible. Le « Fac Rempublicam » remplace, dans le « Domine salvum » le Fac Regem ». Moyennant cet concession, les affreux calotins de la veille deviennent les bons républicains du lendemain… et continuent d’émarger paisiblement au budget. Aussi se rendent-ils avec empressement aux plantations d’arbres de liberté, qu’ils arrosent d’eau bénite avec une édifiante onction

Afin même d’entretenir les sentiments religieux, on a recours à l’imagerie.

À toutes les vitrines de papetiers et de marchands de gravures s’étalent le curé patriote, montant sa garde

  1. Voir le récit apologétique — par cela même peu suspect — que fait de cette opération M. Courcelle Seneuil, dans son Traité des Banques, pages 114 et 115. (N.d.l’A.)