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Et s’ils n’étaient pas coupables, ces malheureux qu’on à tués d’abord et déshonorés après ? [1]

Dès la nuit suivante, j’ai une nouvelle occasion d’apprécier ce que valent, au fond, ces premières effusion entre gens de conditions et d’intérêts si divergents.

Depuis le matin du 23, les hasards de la lutte m’avaient placé dans les rangs d’une compagnie de la garde nationale du iiie arrondissement (ancien), toute dévouée au mouvement, et commandée par le capitaine Dunoyer, grièvement blessé dans le dernier combat livré contre les gardes municipaux casernés au poste du Château d’Eau situé sur la place du Palais-Royal.

Cette compagnie occupait la mairie, place des Petits-Pères.

Vers une heure du matin, arrive tout effarée une estafette, envoyée par ordre du nouveau ministre de la guerre, le général Subervic, nous prévenant de nous tenir prêts à aller renforcer le détachement qui protège déjà l’hôtel Rothschild contre l’attaque probable d’une bande « de pillards » disposée dit-on, à venir le mettre « à sac. »

Désireux de savoir ce qu’il en est, je pars aussitôt en compagnie d’un brave garçon aussi peu soucieux que moi du rôle de défenseurs passifs de la propriété, qu’on prétend nous faire jouer : l’exécution sommaire des Tuileries m’a rendu méfiant, et puis, en somme, que nous importent les écus du baron ?

  1. Or, c’était précisément le cas. En mai 1850, la cour d’assises de la Seine avait à juger une bande de voleurs exploitant les environs de Paris. Ils dévalisaient les voitures amenant la nuit des provisions, après en avoir préalablement étranglé à demi les conducteurs. Dans le cours des débats, le nommé Pellet, chef de cette bande, raconta comment aux Tuileries, le 24 Février, lui et quelques amis, craignant d’être dénoncés par des citoyens qui les avaient surpris en train de « travailler », ils s’étaient jetés sur ceux-ci en les accusant de vol, et qu’alors la foule avait immédiatement fusillé ces prétendus voleurs. (N.D.L’A)