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l’argent. Puis, qui sait, la contagion aidant, si bientôt l’Europe entière ne va pas se transformer en une fédération de peuples libres ? Ce sera alors la République universelle. Il n’y faut, après tout, que de la droiture et de l’énergie de la part du gouvernement provisoire qu’on vient d’installer à l’Hôtel de ville ».

Tels sont les propos qui s’échangent dans toutes rues de Paris, quelques heures après la prise des Tuileries.

Et pourtant un grand crime, un odieux oubli des notions de justice les plus élémentaires à déjà été commis dans ce maudit palais, d’où il semble que moral soit fatalement banni.

Quelques malheureux, accusés de vol, ont été fusillés sommairement, sur place, aux acclamations unanimes des envahisseurs, sans même qu’on se soit donné le temps de vérifier leur identité ni s’ils étaient ou non coupables !

Puis, l’exécution faite, on a de plus outragé leurs cadavres en les affublant d’une immense pancarte portant cette inscription : MORT AUX VOLEURS !

Enfin, dès le soir, une affiche du gouvernement portant entre autres signatures celles du citoyen L. Blanc — un socialiste — et d’Albert, l’ouvrier, fécilitait, au nom de la République, les auteurs de cette abominable action.

En même temps — et par ironie, sans doute — les mêmes signataires, dans une autre proclamation, exaltait la clémence dont Paris faisait preuve en laissant sans obstacle ceux qui, dans un pur intérêt dynastique, tentaient la veille encore de mettre la ville à feu et à sang.

Épargner ceux-ci : clémence admirable ! — Fusiller sommairement et sans preuves, de pauvres diables vaguement accusés de vol — simple délit punissable au plus de quelques mois de prison : — justice glorifiable !

C’est un penseur, un socialiste qui le dit et le signe !

C’est un ouvrier, un exploité de la société capitaliste qui l’approuve !