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départ et envoyé pour cinq ans au bagne, où il était mort.

Malgré l’excellent certificat qui m’avait été délivré, il n’en fut pas moins acquis, pour les autorités académiques dont je relevais, que j’étais impossible comme instituteur.

On ne s’en cacha point avec moi, et, renonçant à une lutte dans laquelle j’étais destiné à toujours succomber, je me décidai à quitter l’enseignement j’entrai comme commis aux écritures chez un entrepreneur.

J’y restai jusqu’au 24 Février 1848, auquel je pris part, naturellement.

Mon patron, moitié rancune contre la République qu’il exécrait et aussi parce que les travaux marchaient déjà mal, me remercia dès le lendemain.

Les dernières années 24 Février-17 Mars, du règne de Louis-Philippe avaient été une bien triste période pour la jeunesse rebelle à ce cynique conseil donné par Guizot et consorts : « Enrichissez-vous. »

Les plus sombres temps du second Empire n’en peuvent donner l’idée. Les Éclairs de Février, chantés par Pierre Dupont, avaient du moins laissé un souvenir et une espérance. On comprenait bien que, comme tout cauchemars, le Deux-Décembre aurait une fin.

Mais de 1845 à 1848, ce n’était pas même un cauchemar : c’était la mort.

Le 24 février fut donc une résurrection, aussi les-elles premières heures de ce retour à la vie offrirent un imposant spectacle. Riches et pauvres, bourgeois et ouvriers oublièrent pour un moment ce qui les séparait.

« Aimons-nous, et vive la République ! » Ce cri sortit alors de toutes les poitrines.

Quels beaux projets d’avenir on faisait !

« La France s’est reconquise. On va enfin constituer une société de justice dont tous les membres seront vraiment libres et égaux. Le travail sera délivré de l’arrogante et effroyable exploitation des manieurs