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Les travaux ne purent ainsi commencer que bien mon départ.

Donc, durant près de vingt ans, l’école s’était tenue dans un local sombre, humide et mal aéré, élèves et maîtres y avaient gagné des rhumatismes, et peut-être, comme le collègue que j’y remplaçais, des germes de phtisie… mais l’ordre administratif était demeuré sauf !

Peu de temps après mon arrivée, je commençai, sans m’en douter, à faire jaser sur mon compte.

J’étais parti de Paris avec une garde-robe des plus modestes pour laquelle je n’avais eu, hélas : aucun excédent de bagages à payer. — En linge, le strict nécessaire et, comme vêtements, pas le moindre rechange ; sans quelques bouquins qui la garnissaient, ma pauvre petite malle n’eut pas été pleine à moitié.

C’est dire que fêtes et dimanches je portais le même costume. Et quel costume ? Je me souviendrai jusqu’à la mort d’un certain paletot couleur amadou, d’un tissu des plus spongieux, portant alors le nom de tween — celui sans doute de quelque fabrique anglaise — et qui laissait trop facilement pénétrer tour à tour la pluie, le vent et le soleil.

Les gens du pays, étonnés de me voir en tout temps de cet éternel paletot, convaincus que les « Parisiens » n’ont d’autre souci que de mystifier les paysans, ne pouvaient se persuader que ma pauvreté seule était en dans l’affaire. Pour eux, le pauvre diable de d’école ne pouvait être qu’un farceur bien décidé à se moquer d’eux.

À ce premier grief et sans y songer davantage, je ne tardai pas à en ajouter un autre, beaucoup plus grave, il est vrai.

D’humeur très noctambulesque et contraint surtout de faire des économies d’éclairage, il m’arrivait, chaque fois que le temps le permettait, de me promener assez tard le soir.

Or, j’avais adopté pour théâtre habituel de mes sorties un petit sentier courant entre l’Orge et le cime-