Page:Lefrançais - Souvenirs d'un révolutionnaire, 1902.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 13 —

Je m’empressai de décliner l’honneur d’un aussi stupide rôle, me retranchant derrière la loi de 1833, invitant les instituteurs à s’abstenir de toute controverse religieuse.

— C’est bien, reprit sèchement le curé, je m’adresserai au chantre. Il sera plus complaisant que vous.

Notre entretien finit là, et je sortis enchanté d’apprendre aussi que j’étais dispensé de cette fonction de chantre, à laquelle les instituteurs sont le plus souvent obligés. Il est vrai que je serai privé des 60 à 80 francs, que rapporte annuellement le métier. Mais, en même temps, j’évite d’être sonneur, les deux fonctions étant toujours réunies.

Averti de ce qui venait de ce passer, et pressentant de prochaines hostilités de ce côté, le maire me conseilla lui adresser une requête afin de convoquer le comité local et de faire constater par celui-ci l’état d’avancement des élèves au moment de mon arrivée. Je suivis son conseil et je pus vérifier, quelques mois après, qu’il avait absolument raison.

Malgré toutes les tracasseries que je prévoyais déjà ce fut cependant avec une vraie joie que, le lendemain matin, je fis mon entrée dans la grange qui servait de classe aux enfants. J’étais enfin maître d’école ! J’allais avoir des élèves à moi !

Et pourtant quelle pauvre vie j’allais mener !

Bien que la commune fût une des plus riches de l’arrondissement de Rambouillet ; bien que le maire sût « apprécier les bienfaits de l’instruction », le Conseil municipal, s’en tenant au minimum fixé par la loi, accordait seulement deux cents francs par an de subside à l’instituteur.

Moyennant cette somme, la commune avait le droit d’envoyer à titre gratuit dix élèves à l’école qui en comptait à peine trente-cinq au maximum.

Je pouvais donc compter seulement sur vingt-cinq élèves au plus me payant un écolage de un franc cinquante à deux francs par mois, suivant l’âge.