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d’alors : détruire les superstitions, le bigotisme, « pour affermir la religion », démasquer les mauvais prêtres…, etc. etc,

Il me promit enfin de me protéger contre le mauvais vouloir du curé, un Bas-Breton, le « père Soulô », comme on l’appelait dans la commune, car certainement il me chercherait noise, furieux qu’il était de n’avoir pu faire venir un instituteur de son choix.

Muni de ces renseignements, je me présentai à la cure.

Au seul aspect de ce prêtre, je compris tout l’à-propos du sobriquet dont on l’avait gratifié. Trapu, la figure empourprée, le nez barbouillé de tabac, une tignasse ébouriffée, il paraissait aussi peu respectable que possible malgré son âge — une soixantaine d’années environ — et ses cheveux blancs.

D’une voix rauque, presque brutale, ce Bas-Breton mal peigné me reçoit d’abord de fort méchante humeur. Il me croyait natif de Paris qu’il déteste, — sans savoir pourquoi, probablement.

Il s’humanise cependant à la lecture de mon diplôme relatant que je suis né à Angers : nous sommes presque pays.

— Vous arrivez à propos, monsieur le maître. Comme nous sommes en Carême, je veux, afin de ramener à notre sainte religion les habitants du pays, qui sont de vrais païens, leur faire deux fois la semaine, le soir, des conférences où nous discuterons les principales vérités de l’Église. Vous ferez l’incrédule et je vous convertirai.

Assez surpris de cette proposition saugrenue, il me prit d’abord envie de l’accepter pour faire l’essai de mes forces en ce genre. La jeunesse a de ces audaces !

Malheureusement le curé reprit aussitôt :

— Vous comprenez, bien monsieur le maître, que par crainte de scandale, je vous préparerai moi-même les objections auxquelles je répondrai ensuite.

Ainsi, je devais tout simplement remplacer le légendaire bonnet jouant le rôle du diable dans cette farce.