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nous n’étions jamais sûrs que les repas fussent régulièrement servis, tant les fournisseurs se souciaient peu de faire crédit.

Quant à nos honoraires, nous devions les arracher par à-compte de deux ou d'un franc et quelquefois même de cinquante centimes !

Libre d’agir à ma guise quant à la façon de donner mes leçons, n’ayant que fort peu de besoins, je serais demeuré là plus longtemps peut-être, à cause de l’intérêt que m’inspiraient plusieurs de mes petits élèves, si, coup sur coup, deux événements assez graves ne m’avaient déterminé à quitter la « boîte. »

Le seul pensionnaire payant bien et largement même pour l’époque — 3, 000 francs par an, sans déduction des vacances — était petit-fils d’un défunt maréchal du premier Empire. Ce bambin d’une dizaine d’années, dont la mère était morte et dont le père était colonel de hussards en Afrique, où il périt depuis, était aux mains de la veuve du maréchal, sa grand-mère, qui le gâtait d’une abominable façon.

Il avait, comme de juste, l’idée très exacte de son importance au pensionnat. Aussi agissait-il en toute liberté, sans que personne se permît jamais d’y trouver à redire.

Comme il était de la classe des Latins, je n’avais pas eu jusqu’alors à m’en occuper.

Mais un dimanche que j’étais de garde, peu avant l’heure où l’équipage de la maréchale venait habituellement prendre le moutard, celui-ci me lâcha une impertinence telle que je le consignai pour toute la journée.

La punition à peine infligée, on vint le chercher. Je lui défends de sortir et vais annoncer au domestique qui l’attendait au parloir que l’enfant, puni par moi, ne sortira pas ce dimanche.

Le directeur étant absent, les gens de la maréchale, fort étonnés, s’en retournent, pendant que leur jeune. maître jure, tempête et menace de tout briser.