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il lui était permis de se montrer impitoyable aux palinodies, aux défaillances et aux lâchetés de ceux que Fabre d’Eglantine appelait les montagnards d’industrie. À Lefrançais la Commune n’avait rien rapporté. Il en était sorti pauvre, comme il y était entré. Le devoir accompli, la tâche terminée, il avait repris le chemin de l’exil pour y continuer sa vie et non pour la refaire. Ayant été à la peine, il ne voulut pas être au déshonneur d’une récompense ou d’un dédommagement quelconque — de la part d’un gouvernement qui ne réalisait aucun de ses désirs, aucune de ses espérances.

Cette déception, son testament l’a traduite avec force. « Je meurs, dit-il, de plus en plus convaincu que les idées sociales que j’ai professées toute ma vie et pour lesquels j’ai lutté autant que j’ai pu, sont justes et vraies.

« Je meurs de plus en plus convaincu que la société au milieu de laquelle j’ai vécu n’est que le plus cynique et le plus monstrueux des brigandages.

« Je meurs en professant le plus profond mépris pour tous les partis politiques, fussent-ils socialistes, n’ayant jamais considéré ces partis que comme des groupements de simples niais dirigés par d’éhontés ambitieux sans scrupules ni vergogne…

Lefrançais ajoutait :

« Pour dernières recommandations, je prie mon fils Paul de veiller à ce que mon enterrement — exclusivement civil, bien entendu — soit aussi simple que l’a été ma vie elle-même, et à ce que je ne sois accompagné que de ceux qui m’ont connu comme ami et ont bien voulu m’accorder soit leur affection, soit plus simplement leur estime. À défaut d’incinération, qu’on me porte à la fosse commune, où, d’ailleurs, tous les miens m’ont déjà précédés, ainsi que les pauvres gens à la classe desquels je n’ai cessé d’appartenir… »

En lisant à haute voix cet admirable testament, devant le corps à peine refroidi de notre ami reposant sur son petit lit de fer, Albert Goullé avait les yeux et la voix