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Aujourd’hui je suis vieux, sans goûts, sans aptitude :
L’oisiveté morose aceroît ma solitude.
Mes auteurs favoris dorment dans leurs prisons :
Amis silencieux, qui peuplent nos maisons,
Et qui savent souvent, à notre âme ravie,
Sans presque y rien changer raconter notre vie,
Mes livres ont perdu leur magique pouvoir ;
Leurs conseils sous les yeux, je passe sans les voir.
Je n’interroge plus ces antiques génies :
D’un passé qui se perd muettes colonies,
Qui vont, en s’y fixant, consoler l’avenir,
Je n’entends plus leur voix, pas même en souvenir.
D’Young et de Byron, mon âme refroidie,
A cessé d’écouter la sombre mélodie :
La cloche de Schiller ne tinte plus pour moi.
Des récits de Milton que m’importe l’effroi,
Son frêle paradis, sa mer de feu vivante,
Et de son lourd chaos la sublime épouvante !
Mon chaos de douleur est plus grand que le sien.
Virgile maintenant n’est plus ce magicien,
Qui faisait, de mes yeux, couler les pleurs d’Orphée,
Et parler dans mon âme un écho du Ryphée.
Qu’est-ce que son enfer, comblé de dieux mauvais ?
L’univers des damnés est partout où je vais.
En passant par mon cœur, tout en moi devient cendre.
Je palpitais naguère à l’amour de Léandre,
Traversant l’Hellespont pour un baiser d’Héro :
Hélas ! depuis ce temps, pour trouver un bourreau,