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Vont, sans craindre l’abeille, ou le dard de la guêpe,
Boire ensemble du miel dans leurs coupes de crêpe.
Même avant de l’avoir, un désir s’accomplit :
L’impossible s’efface, ou du inoins s’affaiblit.
Joyeux, sans s’imposer la fatigue de l’être,
Et jouissant de tout, sans vouloir rien connaître,
On oublie où l’on vit, pour vivre où vont les yeux :
Chaque oubli de soi-même est un pas vers les cieux.

Ces songes, il est vrai, comme le jour se lassent :
Mais quand ils sont partis, que d’autres les remplacent !
L’ombre a son éloquence, et ses leçons : le soir
Sait au champ du passé reconduire l’espoir,
Ou, guidant nos vaisseaux sur l’océan des rêves,
Du ciel, qu’ils vont chercher, faire avancer les grèves.
Sur le jaspe rayé du couchant nuageux,
Mille esprits qu’on devine entrelacent leurs jeux,
Et, sur l’ébène obscur de ses pages brodées,
La nuit enfin nous ouvre un nouveau cours d’idées.
La nuit, en les voilant, semble élargir les airs,
Et, comme la pensée, agrandir l’univers,
Si c’est penser encor, que d’oublier qu’on pense.
Sur le seuil du sommeil, on change d’existence.

Quand les arbres, couverts d’un linceul de vapeurs,
Allongent devant nous leurs fantômes trompeurs :