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Pour peu que vous sortiez du langage courant, vous rencontrez à chaque pas dans le monde des docteurs qui vous diront : Ce n’est pas ainsi que s’exprime la nature ! Je commencerai par leur dire que, si la nature parle comme eux, ou fait trèsbien de ne pas parler comme elle. J’ajouterai (pour ceux qui veulent bien prendre la peine de réfléchir) qu’avant de décider de la justesse ou de la convenance d’une expression, il faudrait d’abord se transporter dans la situation de celui qui l’emploie : ce n’est pas toujours facile. Il vous parait tout simple, pour me servir ici des comparaisons les plus triviales et en ce moment les meilleures, il vous parait tout simple qu’un homme, dont l’estomac crie la faim, n’ait pas la repartie leste et pimpante d’un homme, que la bonne chère et le Champagne émoustillent : et vous voulez, quand on est ivre de bonheur ou rassasié d’ennui, qu’on s’entretienne aussi tranquillement de sa douleur ou de son extase, que vous causeriez de la pluie ou du beau temps ! Quiconque souffre est porté à croire que personne n’a jamais tant souffert : et, quand on a souffert comme personne, vous prétendez qu’on le raconte comme tout le monde ! C’est une exigence d’égalité bien tyrannique, et un amour de l’ordinaire… qui n’a pas le sens commun. Eh ! comment jugerons-nous que votre passion est à part, est en dehors de toutes les passions connues, si vous n’avez pour nous l’exprimer