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LIVRE QUATRIÈME.

Et qu’on en suit en soi les flux et les reflux,
Nous y voyons souvent, entiers ou vermoulus,
Se dresser devant nous des quartiers de pensée
D’une date inconnue, ou du moins effacée,
Qui, merveilleux d’aspect ou d’un sinistre abord,
Nous semblent avec nous n’avoir aucun rapport,
Et sont, on ne sait comme, implantés dans nos têtes.
Y sont-ils arrivés portés par des tempêtes,
Qui, sans nous en douter, nous ont jadis surpris,
Et sont-ils demeurés debout dans nos esprits,
Comme autant de témoins de quelque ancien naufrage ?
L’homme qui vit n’est-il, épave d’un autre âge,
Qu’un reste transformé de l’homme d’autrefois,
Qui sous un joug nouveau vient subir d’autres lois ?
L’homme, semblable en tout au globe qu’il habite,
A-t-il, comme ce globe, à décrire une orbite,
Et chaque époque en lui, comme sur son berceau,
Laisse-t-elle, en fuyant, la marque de son sceau ?
De poussière en poussière, essence vagabonde,
A-t-on déjà vécu, lorsque l’on vient au monde,
Et ces rêves, qu’on prend ici pour des hasards,
Ne seraient-ils en nous que des reflets épars,
Que des rayons perdus d’une mémoire éteinte,
Que rallume un regard, que ravive une plainte ?