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confondus, mêlés, chacun avec sa petite escorte de gentilshommes fringants, des prêtres, des évêques à cheval, des moines en théorie, des soldats, des fantassins, des cavaliers ; c’était un rêve étrange, une cohue fantastique, une mise en scène somptueuse, éclatante que paraissaient régler les fanfares de trompettes…

Perché sur sa chaise, Pardaillan assistait à cette féerie avec un sourire goguenard.

— Voilà les huguenots dans la place, grommelait-il. Mais ce n’est pas le tout que d’entrer. Comment vont-ils sortir ?

Le vieux renard flairait en effet quelque tour de Catherine dans toute cette démonstration. Cependant, le spectacle l’amusait, le passionnait presque, en bon badaud parisien qu’il était. Et les rasades de Catho aidant, il en arrivait à oublier qu’il y avait pour lui un intérêt vital à ne pas être vu. Tout à coup, son regard qui errait à l’aventure, sollicité par les mille détails du spectacle, se croisa avec un regard flamboyant, auquel il s’accrocha pour ainsi dire.

— Le maréchal de Damville ! gronda le routier avec, un juron.

En même temps, il saluait de son plus gracieux sourire et de son plus beau geste. Damville, d’une violente secousse, avait arrêté son cheval et demeurait pétrifié, les yeux rivés sur ce Pardaillan, qu’il croyait mort au fond des caves de son hôtel, dont il avait donné l’ordre de jeter le cadavre à la Seine et qui lui apparaissait, très vivant, tout hérissé d’ironie.

« Oh ! oh ! songeait à ce moment le vieux routier, la fête est complète ! Tous mes assassins me regardent ! Tiens-toi bien, Pardaillan ! »

Il redoubla les sourires et les saluts. En effet, près de Damville, trois ou quatre cavaliers s’étaient également arrêtés.

— L’homme que nous avons grillé dans le cabaret ! s’écria l’un.

— Celui qui est mort avec le chevalier de Pardaillan ! fit un autre.

— Mort, grillé, incendié, réduit en cendres, le revoilà en chair et en os !

Ces cavaliers, qui étaient de la suite du duc d’Anjou, c’étaient Quélus, Maugiron, Saint-Mégrin et Maurevert… Ils considéraient avec une stupéfaction hébétée l’homme qu’eux aussi pouvaient à bon droit croire trépassé.

Cependant Pardaillan, que tous ces regards convergés vers lui ne troublaient aucunement, commençait à se dire que la rencontre pourrait bien fort mal tourner pour lui. En conséquence, il essaya de descendre de sa chaise afin de se faufiler dans la foule et de disparaître.

— Messieurs, dit-il, vous êtes trop à me regarder. Vous finiriez par me faire rougir de cet excès d’honneur.

Malheureusement, la foule était si tassée, si compacte autour de lui, que force lui fut de demeurer immobile sur son piédestal. Tout cela n’avait d’ailleurs duré que quelques instants.

Au moment où Pardaillan cherchait inutilement à descendre de sa chaise, le duc d’Anjou s’étant retourné, s’aperçut que plusieurs de ses gentilshommes s’étaient arrêtés. Il appela Quélus, son favori, qui s’approchant de lui, se mit à lui parler vivement. Le duc d’Anjou, fit alors un signe au capitaine de ses gardes. Puis tout ce monde, entraîné par la marche du cortège, continua à s’avancer. Mais si vite que se fussent accomplis ces différents mouvements, ils n’avaient pu échapper à l’œil perçant du vieux routier.

— Les choses se gâtent ! dit-il à haute voix, à là grande surprise de ses voisins immédiats.

Il faut noter, en effet, que Pardaillan n’était pas le seul perché sur une chaise. Près de lui, à sa gauche, il y avait une table qui supportait sept ou huit curieux. À sa droite, une sorte de tréteau était couvert par une dizaine de personnes. Il y avait aussi des chaises en quantité. Pardaillan prit le seul parti qui lui restait à prendre : il fit basculer sa chaise qui tomba ; l’instant d’après, il se trouva sur la chaussée au milieu de gens qui hurlaient, furieux. L’aspect martial de Pardaillan leur imposa silence.

Mais ce n’était pas tout :

— Il fallait, coûte que coûte, sortir de cette foule et disparaître au plus tôt. Car Pardaillan ne doutait nullement que les mots prononcés par le duc d’Anjou à l’oreille de son capitaine des gardes n’eussent trait à sa modeste personne, autre excès d’honneur dont il se fût passé. Il commença donc à jouer des coudes.

À ce moment, au lieu de s’ouvrir devant lui, la foule reflua violemment et, pour ne pas être entraîné, Pardaillan s’accrocha au marteau de la porte devant laquelle sa chaise était placée. Que se passait-il ?