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pierre qu’était le Louvre. Là, il trouva un tel encombrement de populaire qu’il dut s’arrêter.

Il regarda vers le Louvre, et vit qu’on avait baissé le pont-levis de la porte qui regardait la rue de Beauvais. Or, en l’absence du roi, toutes les portes du Louvre levaient leurs ponts-levis. Non seulement le pont était baissé, mais une compagnie d’arquebusiers prenait position dans la rue, en grande tenue de parade, pourpoint aux armes de France, casques à plumets ondoyants.

Vers sa gauche, dans Paris, le chevalier entendait une grande rumeur, ce bruit de houle qui est le bruit de la foule. Autour de lui, le peuple était endimanché ; des femmes accouraient pour tâcher de prendre une place le long de la rue où des hommes du guet, à coups de hallebarde, s’efforçaient de maintenir un passage libre.

— Qu’y a-t-il ? demanda Pardaillan à une jolie fille qui s’accrochait à son bras pour ne pas être bousculée.

— Eh ! ne le savez-vous pas, dit la fille. C’est notre sire le roi qui rentre en son Louvre !…

Mais à ce moment une débandade se produisit dans la foule : le bruit venait de se répandre que le roi et son escorte ne passeraient pas par la rue de Beauvais, mais feraient un détour par la rue Montmartre. En un clin d’œil, la rue se vida comme un fleuve un instant trop gonflé qui se déverse par mille ruisseaux, et le peuple se mit à courir vers la rue Montmartre. Le chevalier reprit son chemin vers la rue Tiquetonne.



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Le vieux Pardaillan, comme on l’a vu, était arrivé à l’Auberge des deux morts qui parlent. Il y avait été accueilli à bras ouverts par la digne hôtesse, dame Catho. Le routier, d’un coup d’œil, inspecta le cabaret, avec ses pots d’étain et ses plats de cuivre accrochés un peu partout selon la place, aux murs ou aux solives du plafond bas, ses tables luisantes à pieds massifs, ses escabeaux à dossiers sculptés, ses cruches de grès et ses gobelets. Par une porte ouverte, on voyait rutiler les cuivreries d’une cuisine et flamboyer son âtre à grands chenets tordus et à crémaillère noircie. Bref, l’auberge avait une mine de prospérité qui fendit la bouche de Pardaillan dans un large sourire de satisfaction.

— Catho, dit Pardaillan une fois son inspection terminée, tu mérites d’être félicitée. Ton auberge est admirable ; plût à Bacchus que j’en eusse toujours rencontré de pareilles !

— Grâce à vous, monsieur, fit Catho. Grâce à vos beaux écus. Mais je pense que celle-ci ne brûlera pas comme l’autre ?

— Regretterais-tu ton héroïque dévouement ?

— Nenni, monsieur. Lors même que je me fusse retrouvée après l’incendie sans un sou dans mon tablier, j’eusse été encore contente de vous avoir aidé à battre les philistins, … vous… et monsieur votre fils… On ne le verra pas, monsieur votre fils ?

— Si fait, ma bonne Catho. Seulement, je te préviens que tu te mettras inutilement en frais. Ce gaillard-là a fait la sottise de donner son cœur. Ainsi…

— Oh ! monsieur, croyez-vous donc qu’une pauvre fille comme moi… et puis, c’eût été bon dans le temps que j’étais belle… maintenant, hélas !…

Et la pauvre Catho, tirant un petit miroir de sa poche, examina avec un soupir de détresse son visage affreusement couturé par la petite vérole.

Pardaillan s’installa à une table, et comme il lui était impossible de demeurer inoccupé, il demanda à Catho de lui servir une petite omelette de cinq ou six œufs — pour attendre, dit-il. L’omelette, sautée dans la poêle sur une claire flamme, fut mangée avec le respect dû à l’une des plus artistiques opérations de Catho. Mais alors il se trouva que le vieux routier avait encore du temps à dépenser. Ce temps fut donc occupé par le dépeçage d’un poulet, qui disparut peu à peu. Après le poulet, et toujours pour tuer le temps, il y eut le massacre d’un pot de confiture. Tout cela n’alla pas sans l’absorption de deux ou trois bons flacons ; en sorte qu’après avoir attendu deux heures de la façon que nous venons d’expliquer, Pardaillan se sentit fort comme Samson, agile comme son propre fils, et que des pensées de bataille passèrent par son cerveau.

Il en résulta qu’entendant tout à coup des trompettes retentir au loin, il reboucla son épée, posa sa toque à plume noire sur le coin de son oreille gauche, et redressant sa moustache, s’en fut vers la rue Montmartre d’où venait le bruit des trompettes, après avoir prévenu Catho qu’il serait de retour dans peu de minutes pour retrouver son fils.

— Vous allez donc voir l’entrée du roi ? fit Catho.