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que le comte de Marillac est pour vous… Maintenant, supposez, madame, que le comte, votre fiancé, soit détenu prisonnier chez moi… et supposez que vous veniez me demander sa liberté… Ah ! madame, à votre agitation, je vois que vous m’avez compris !… Pourquoi Loïse de Montmorency est-elle prisonnière, je ne le sais que trop… mais pourquoi le maréchal de Damville vous l’a remise, je ne le sais pas et ne veux pas le savoir… Un seul mot, madame, un seul : le sacrifice que vous êtes prête à accomplir pour moi ira-t-il jusqu’à rendre la liberté à Jeanne de Piennes et à sa fille ?

À mesure que le chevalier parlait, Alice paraissait plus bouleversée.

— Vous aimez Loïse… Loïse de Montmorency…

— Oui, madame !

— Malheureuse !… murmura sourdement Alice.

— Que dites-vous, madame ?…

— Je dis que je suis bien malheureuse, et qu’il y a de la fatalité dans ma vie, et que tout ce qui m’approche est flétri !…

— Madame ! madame ! Est-il donc arrivé malheur à Loïse ? s’écria le chevalier dont les lèvres tremblantes devinrent blanches.

— Non, non !… Aucun malheur !… Mais…

— Mais ?… Vous ne pouvez me la rendre, n’est-ce pas ?…

— Loïse et sa mère ne sont plus ici !…

Le coup frappa rudement le jeune homme. Il était sûr qu’Alice de Lux disait la vérité. Elle était réellement désespérée.

— Elles ne sont plus ici, reprit-elle, depuis le lendemain du jour où vous m’avez annoncé que le comte de Marillac allait voir la reine de Navarre.

— Damville les a reprises ! gronda le chevalier… Oh ! cet homme se cache ! Mais dussé-je parcourir la France, je mettrai la main sur lui ! Et alors…

— Non, chevalier ! Le maréchal ne les a pas reprises ! C’est moi, c’est moi, insensée, moi dont les rares bonnes pensées tournent à mal, c’est moi qui leur ai rendu la liberté…

Le jeune homme sentit son cœur se dilater, un cri de joie expira sur ses lèvres.

— Libres ! Elles sont libres !…

— Lorsque je me suis vue condamnée, lorsque j’ai compris que mon noble fiancé allait me maudire… ah ! chevalier, quel horrible enchevêtrement de malheur dans ma vie !… D’abord voyez : Damville persécute deux infortunées dignes d’amour et de pitié… il faut que ce soit à moi qu’il s’adresse pour les garder !… Et je suis forcée d’obéir ! Je suis forcée de me constituer la geôlière de deux femmes devant lesquelles je me sentais si misérable qu’à peine osais-je paraître en leur présence ! Pourquoi j’ai été forcée d’obéir ? Là est ce mystère que votre générosité n’a pas voulu connaître ! Mais continuons : du jour où j’ai pensé que Marillac se séparait de moi à tout jamais, je n’avais plus à redouter les révélations dont Damville me menaçait, puisque ces révélations, la reine de Navarre les faisait elle-même !… Je monte chez les prisonnières… Je leur dis : « Pardonnez-moi le mal que je vous ai fait… allez… vous êtes libres !… » Et voici que si ce funeste accès de générosité ne m’était pas venu, Loïse sortirait maintenant d’ici, emmenée par vous qui l’aimez ! Ah ! oui, je suis maudite ! puisque le bien même que je veux faire se change en calamité !

— Vous exagérez le malheur, madame, dit doucement le chevalier. C’est déjà une joie immense pour moi de savoir que Loïse n’est plus au pouvoir du damné maréchal… Mais ne vous ont-elles pas dit où elles comptaient se retirer ?

— Hélas ! j’étais si bouleversée que je n’ai même pas songé à le leur demander… Et puis… l’aurais-je demandé qu’elles ne m’eussent pas répondu… Qu’étais-je à leurs yeux, sinon une misérable geôlière !

— Ainsi, pas un mot qui puisse laisser deviner…

— Rien. Pas un mot.

Il y eut un moment de silence.

— Monsieur, dit-elle timidement, je devine les questions que sans doute vous vous posez et que vous êtes assez noble pour ne pas formuler de crainte de m’accabler. Je vous jure que pendant leur séjour dans cette maison, Jeanne de Piennes et sa fille n’ont pas souffert — si ce n’est de leur claustration. Je me suis efforcée d’être pour elles plutôt une servante que… ce que j’étais… Je vous jure en outre que le maréchal n’est pas venu ici.

— Je voudrais, dit Pardaillan, vous poser une question… Rassurez-vous, madame, elle m’est toute personnelle… Vous avez dû parfois vous entretenir avec elles ?…

— Deux ou trois fois seulement.

— Eh bien, reprit le chevalier, dans ces circonstances… ou d’autres… enfin, tenez, madame, je veux savoir si jamais mon nom a été prononcé par Loïse…

— Jamais ! dit Alice.

Un nuage passa sur le front du jeune homme. Ses yeux se troublèrent. Un profond soupir gonfla sa poitrine.