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Gilles répondit :

— Je vois que vous n’avez pas de corde. Il y a dans la cour de l’hôtel une charrette. C’est dans cette charrette que je devais vous porter à la Seine. J’y avais placé une bonne corde pour vous la mettre au cou avec une pierre. Envoyez chercher la corde et pendez-moi : vous ne saurez rien.

— Par tous les diables d’enfer ! grommela Pardaillan. Ce vieux-là est superbe !… Dommage que je sois forcé de le tuer !

Il tira sa dague, et de sa même voix glaciale, il dit :

— Pour ta bravoure, tu ne seras pas pendu. Mais je vais te tuer d’un seul coup, au cœur, si tu ne parles…

— Voici mon cœur, dit le vieux Gilles en déchirant son pourpoint d’un coup violent. Seulement, si le désir d’un mourant vous est sacré, je vous supplie de dire à Mgr de Damville que je suis mort fidèle, mort pour lui…

Les deux Pardaillan demeurèrent saisis d’un étonnement admiratif. L’attitude de ce vieillard qui avait une peur affreuse de mourir et qui cependant offrait sa poitrine au coup mortel, pour demeurer fidèle à son maître, leur parut un phénomène inexplicable.

— Monsieur de Pardaillan, fit tout à coup une voix qui grelottait.

Le routier se retourna et aperçut Gillot qui sortait de derrière une futaille.

— N’aie pas peur, dit-il : ton tour va venir ; ton digne oncle d’abord, toi ensuite. Seulement tu ne mourras pas : tu auras simplement les oreilles coupées.

— Je le sais, fit Gillot qui, tout blême, frissonna de la tête aux pieds. Je le sais, et pour sauver mes oreilles, je veux vous proposer un marché.

— Voyons le marché…

— Je sais où se trouvent les deux personnes que vous cherchez…

— Toi ! rugit le vieux Gilles. Ne croyez pas cet imbécile, monsieur !…

— Pardon, pardon… cet imbécile tient à ses oreilles. Je conviens qu’il a tort parce qu’elles sont hideuses, mais enfin il y tient, et s’il dit vrai, il les aura sauves !

— Il ment ! gronda le vieillard qui, se débarrassant de l’étreinte de Pardaillan, se précipita sur son neveu.

Mais il n’eut pas le temps de l’atteindre que déjà Pardaillan l’avait saisi à la gorge et le remettait au chevalier.

— Parle ! dit-il alors à Gillot.

— Il ne sait rien ! Il ment ! vociféra Gilles.

— Je ne mens pas, mon oncle, dit Gillot qui, certain de sauver ses oreilles, reprenait de l’aplomb. Le jour où j’ai reçu l’ordre de préparer la voiture, et où j’ai eu précisément affaire à ce digne jeune homme que voici, toutes ces manigances m’ont mis là cervelle à l’envers ; et à dix heures, j’ai suivi l’expédition ; j’ai tout vu. Je sais où la voiture s’est arrêtée, et je m’offre d’y conduire ces messieurs…