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En même temps, il tira de son pourpoint la lettre de Catherine de Médicis et, mettant un genou à terre, la tendit à Jeanne d’Albret, et le comte de Marillac ne se releva que lorsque Jeanne d’Albret eut lu entièrement la missive de Catherine de Médicis.

— Vous avez donc vu la mère du roi de France ? demanda Jeanne.

— Je l’ai vue, madame, et voici en quelles étranges circonstances.

Marillac fit un récit fidèle et circonstancié de son entrevue avec Catherine, en tout ce qui concernait les propositions de paix et de mariage. Il énuméra les garanties offertes. La reine écouta avec une attention soutenue, bien que son esprit, à ce moment, suivît une autre piste.

— Comte, dit-elle lorsque Marillac eut fini de parler, je vous chargerai de porter une réponse à là reine-mère. En même temps, vous serez porteur d’une lettre pour le roi Charles IX. Et enfin, je vous donnerai des lettres pour le roi de Navarre et M. de Coligny. Je réfléchirai aujourd’hui et demain aux propositions qui nous sont faites. Après demain, Je rassemblerai notre conseil, et il sera délibéré sur toutes ces graves questions. Vous pourrez donc reprendre dans trois jours le chemin de Paris. D’ici là, reposez-vous, mon enfant, et soyez près de moi aussi souvent que vous le pourrez…

Marillac s’inclina profondément, admirant le calme impassible avec lequel la reine avait reçu ses propositions extraordinaires d’où dépendait le sort de son fils et de tous les protestants du royaume.

Jeanne d’Albret, avec cet accent de sensibilité qu’elle avait lorsqu’elle parlait à ceux qu’elle aimait, reprit :

— Pour le moment, laissons de côté la politique et la guerre, et parlons de vous, mon cher comte… Ainsi, vous avez vu la reine Catherine ?

Cette question, elle la fit presque à voix basse, avec une ardente curiosité que dominait, qu’inspirait une grande affection. Le comte l’attendait cette question ! Il comprit le sens caché des paroles de la reine, car avec un soupir et un tremblement soudain, il répondit :

— Oui, madame, j’ai vu ma mère…

Jeanne d’Albret n’eut pas un tressaillement. Elle s’attendait à la réponse comme Déodat s’était attendu à la demande.

— J’ai vu ma mère, reprit Déodat, et ma mère a reconnu en moi le fils qu’elle a abandonné…

— Êtes-vous bien sûr de cela ? fit vivement Jeanne d’Albret.

— Votre Majesté va en juger. Ma mère n’a pas prononcé un mot d’affection ; ma mère n’a pas eu un geste qui pût laisser supposer qu’elle me reconnaissait : ma mère n’a pas eu pour moi un regard de pitié… Bien mieux, madame, j’ai dit à ma mère que j’étais un enfant abandonné ; je lui ai dit encore tout ce que j’avais souffert, tout ce que je souffrais encore !… J’ai eu un instant l’espérance folle de lui arracher un cri, ma mère a entendu mon désespoir éclater en paroles d’amertume, et aucune fibre n’a tressailli sur son visage… Tout cela est vrai, madame… et pourtant, je dis que ma mère…

Le comte s’arrêta frémissant.

— Courage, mon enfant, dit Jeanne d’Albret, courage et patience !…

— C’est fini, madame. Je ne crois pas que la reine Catherine soit autre chose pour moi qu’une reine ennemie. Mais ceci m’amène à vous parler d’une partie de l’entrevue que j’ai eue avec elle. Je n’ai parlé à Votre Majesté que des propositions que la reine-mère me chargeait de lui porter. Mais, à moi aussi, elle a fait une proposition…

— À vous, comte, s’écria Jeanne en tressaillant.

— La voici, madame : on offrirait à Sa Majesté Henri de Béarn le trône de Pologne, de façon que la Navarre se trouve sans roi…

— Et alors ? dit Jeanne d’Albret qui ne put s’empêcher de froncer les sourcils.

— Alors, Majesté, si le roi votre fils acceptait de régner sur la Pologne, on mettrait un autre roi sur le trône de Navarre… et ce roi, madame… ah ! c’est à peine si j’ose vous répéter ces étranges combinaisons… ce serait moi !…

Jeanne d’Albret demeura longtemps silencieuse et méditative.

Oui ! comme l’avait dit le comte, c’était bien là une preuve absolue que Catherine de Médicis avait reconnu son fils en Déodat… Orgueilleuse, toute puissante sur elle-même comme elle l’était sur les autres, Catherine, sans aucun doute, avait appris que le fils qu’elle croyait mort était vivant, elle en avait été émue, mais elle avait dissimulé son émotion avec infiniment d’art puisque son fils lui-même s’y était trompé. Et pourtant cette émotion devait exister, profonde, puisque Catherine, d’un enfant trouvé, songeait à faire un roi !…